jeudi 30 août 2007

Enseignant : l'entrée dans le métier


Une fois n'est pas coutume (sur ce blog, sinon le sujet est en passe de devenir un vrai "marronnier" [1]), attardons nous quelques instants sur la rentée des classes du côté des enseignants. Je ne résiste pas à l'envie de vous faire partager ce petit papier écrit par Gilles Lazuech et Pascal Guibert (maîtres de conférence à l'Université de Nantes en sociologie et en science de l'éducation). Il vient de faire l'objet d'une communication au congrès international Actualité de la recherche en Education et en Formation qui se tient depuis mardi à Strasbourg. Et il est fort intéressant, en particulier pour les jeunes qui, comme moi, entament leur carrière de prof.

Il s'agit d'un suivi de cohorte réalisé de 1998 à 2003 sur une population initiale de 550 individus. Les deux chercheurs sont parvenus à mettre en évidence deux modes d'accès au métier chez les enseignants débutants, modes d'accès fortement influencés par les caractéristiques scolaires et sociales des individus. A partir de là, deux groupes peuvent se distinguer, que les auteurs de l'étude nomment les "héritiers" et les "oblats". Si le terme d'héritiers renvoie directement à la sociologie de P. Bourdieu (et renvoie donc à un concept parfaitement intelligible), celui d'oblat mérite d'être explicité. Oblat vient du terme latin oblatus, signifiant "qui est offert". Depuis longtemps inscrit dans le vocabulaire monastique, il permet de désigner une catégorie particulière de religieux. Un petit tour dans Universalis nous apprend que l'oblat était "celui qui, dans une communauté religieuse, n'avait pas fait de vœux et possédait un statut à part : il ne participait pas aux élections aux charges, mais pouvait porter l'habit. Pratiquement, il s'agissait souvent de personnes n'ayant pas les capacités physiques ou mentales requises des religieux à part entière". Je ne sais pas si les auteurs se sont contentés du sens latin, ou bien ont voulu aller plus loin dans l'analogie entre les véritables oblats et une catégorie d'enseignants se limitant à jouer le rôle social d'enseignant sans en avoir toutes les clés. Toujours est-il que ceux qui réussissent le mieux leur entrée dans le métier ne sont pas forcément ceux que l'on croit.

Les "héritiers" sont majoritairement issus des fractions supérieures des classes moyennes, des hommes, enseignant dans "les disciplines les plus attachées au modèle de l’excellence scolaire à la française (la Philosophie, les Lettres, l’Histoire,…)". Amour de la discipline, études universitaires parfois longues, bons élèves tout au long de leur scolarité, telles sont leurs caractéristiques. Les "oblats" sont quant à eux majoritairement issus des classes populaires et classes moyennes basses. "Ils considèrent qu’ils sont redevables de l’école et sont prêts à « rendre » dans une logique maussienne du don contre-don". Ils vivent leur métier comme une promotion sociale et tirent une satisfaction plus importante que les héritiers de la réalité des situations d'enseignements. Alors que les héritiers peuvent être déçus du fait que le côté relationnel du métier de prof prenne le pas sur la transmission du savoir en tant que tel, c'est précisément pour cette même raison que les oblats connaissent une insertion professionnelle plus aisée. "L’esprit de mission qui les caractérise, s’actualise de façon assez heureuse dans un rapport aux élèves dans lequel la dimension relationnelle est jugée importante dans la relation pédagogique".

Cet état de fait n'est pas immuable selon les auteurs puisque, et c'est là l'avantage de l'étude longitudinale, ils parviennent à mettre en avant comment la situation, le vécu des premières années d'enseignement, influe sur le parcours d'insertion suivi par les enseignants débutant lors des premières années de leurs carrières. Ils dégagent alors quatre parcours différents. "Etre de passage", "jouer les bouche-trous", c'est souvent le ressenti des TZR, Titulaires en Zone de Remplacement. Ils n'ont pas de classe à l'année, et vive mal le fait d'être payé à rien faire, notamment du fait que les autres enseignants ne se privent pas pour leur faire des remarques. Je ne peux que vous renvoyer au blog du prof-à-la-dérive, et notamment à cette note là et celle-ci. Plus scientifique, Xavière Lanéelle est intervenue dans le même congrès AREF sur la prise de parole des enseignants titulaires remplaçants. "Tenir par le relationnel", deuxième parcours, celui de ceux qui sont envoyés au charbon dans un environnement "hostile" (dixit X. Darcos). La difficulté renforce les liens entre les jeunes profs, et avec des profs plus expérimentés également. "La conversion inachevée" est ce que vivent les profs qui ne parviennent pas à réduire le décalage entre "entre leur conception de l’activité d’enseignement et ce qu’ils vivent sur le terrain". Il s'agit souvent de ceux qui ont choisi cette voie par "amour de la discipline", ou par vocation, et qui ne peuvent lutter contre la persistance de leur représentation du métier. Enfin il y a "les installés". Ouf, ceux là parviennent à adapter leur conception du métier à la réalité de la pratique, mais cet ajustement n'est rendu possible que par des conditions optimales : satisfaction quant à l'implantation géographique du poste occupé, pas d'isolement relationnel, titularisation dans un établissement qui permet de créer des liens, etc. Cette dernière catégorie représente dans la cohorte des enquêtés près d'un tiers des individus.

L'existence de ce genre d'enquête est vraiment très importante. Le simple fait d'être conscient de ces réalités pourrait permettre à bien des débutants d'éviter la déprime, le blues du début de carrière, le sentiment d'isolement dans le métier. Ensuite il apparaît comme indispensable d'améliorer la préparation des jeunes profs, de faire tomber leur propres représentations de la pratique enseignante avant même qu'ils ne s'attachent à transformer celles de leurs élèves. Les concours, centrés sur la maîtrise des disciplines, permettent de recruter de bons spécialistes certes, mais qui peuvent s'avérer complètement déconnectés des réalités de l'enseignement. Au contraire, ils ne permettent pas de sauver celui qui est fait pour le métier de prof, mais qui devra combler ses lacunes disciplinaires sur le tas.

Sources :
Guibert Pascal et Lazuech Gilles, Parcours d'insertion professionnelle des enseignants du secondaire, Communication au congrès AREF 2007, Strasbourg, août 2007

[1] Marronnier : Tout sujet récurrent qui fournit à intervalle régulier une info inintéressante au possible, mais vraiment pas épuisante à glaner (la rentrée des classes, le baccalauréat, les embouteillages du week-end, les « plages » en ville, les sports d’hiver, les universités d’été des partis politiques) ; votre premier emploi dans un organe de presse consistera souvent à secouer le marronnier. (définition trouvée sur Oulala.net)

Crédit Photo : Susiejulie sur FlickR

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mercredi 29 août 2007

Ca sent la rentrée !

... et au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, la preuve irréfutable est le retour de quelques bons papiers dans les quotidiens nationaux ces dernières heures. Alors comme la rentrée est également synonyme d'effervescence pour les profs, je n'ai pas vraiment le temps ces jours-ci de faire une vraie note. Rassurez-vous, j'ai bien un petit quelque chose sur les retraités en préparation. Mais pour vous faire patienter, voilà une toute petite revue de presse, si vous ne deviez lire que cela :

La TVA sociale, une fausse réponse, par Thomas Piketty, Libé du 27 août
Un célèbre docteur qui officie sur FOX et TF1 (beuarkk !) disait très justement il y a peu : "quand on a plus besoin de choisir, on a plus besoin de réfléchir". Comme c'est exactement la stratégie gouvernementale sur pas mal de sujet ("mais non madame, ce sujet n'est ni de droite, ni de gauche ; pas besoin de tergiverser, on n'a pas le choix, il faut faire cette réforme"), je pense que des articles comme ceux de T. Piketty ne peuvent qu'être salvateurs. Si vous n'êtes pas sur la même longueur d'onde politique que l'auteur du papier, ce dernier a au moins le mérite de mettre en avant le fait que la TVA sociale est loin d'être la seule réponse au problème que pose "la réforme de la structure de financement de la protection sociale, à recettes constantes". Il apporte donc des élément au débat public, notamment en faisant un peu de publicité à la Cotisation Patronale Généralisée (CPG). La politique c'est ça, réfléchir et faire des choix, et de préférence, faire les bons. Si on a plus de décision à prendre, alors la politique ne se résume plus qu'à de la communication.

La crise de 1929 n'aura pas lieu, par Daniel Cohen, Le Monde daté du 28 août
Alors que ce matin Jean-Pierre Gaillard s'excitait sur France Info, presque les larmes aux yeux, en nous expliquant que les bourses avaient tout reperdu ce qu'elles avaient consolidé ces derniers jours, Daniel Cohen pose les termes du dilemne auquel les banques centrales doivent faire face. "On aimerait meilleur choix : 1929 aujourd'hui ou demain..." Prochaine réunion de la BCE, 6 septembre, la Fed 10 jours plus tard. Tous les regards se tourneront vers J.-C. Trichet, son discours de gouverneur de la Banque Centrale Européenne sera alors décortiqué. Il nous a habitué à tenir raide la corde qui permet de limiter l'inflation au maximum. La situation des grandes places boursières va-t-elle le faire infléchir ? Va-t-il inclure dans sa politique la prévention des bulles financières et immobilières ? Réponse au prochain épisode.

Lutte des classes et des sexes, par Roland Pfefferkorn, Libé du 28 août
Ca va faire plaisir aux candidats du CAPES 2006, dont le sujet à l'écrit était le suivant : Peut-on parler de l’existence de classes moyennes dans la société française d’aujourd’hui ? Quelques bouquins de Louis Chauvel plus tard, la question paraît plus d'actualité que jamais. Sans se focaliser sur les classes moyennes, R. Pfefferkorn brosse rapidement le tableau de l'analyse de la société en terme de classe telle qu'elle a pu évoluer ces dernières décennies. Il met en avant non seulement la place des rapports de classe dans les objets de recherche en sociologie, mais souligne fortement la place croissante des rapports de genre, et évoque ceux de génération, et de "racisation" (le terme est de l'auteur). "Il faudrait apprendre à penser la structure sociale comme un entrecroisement dynamique de l’ensemble des rapports sociaux, chacun imprimant sa marque sur les autres". Le retour du concept de classe dans les sciences sociales seraient donc la preuve qu'il existe des "cycles concpetuels" semblant correspondre à d’autres cycles ­renvoyant aux rapports de force tels qu’ils s’expriment dans la société, ­notamment ceux que d’aucuns appelaient autrefois les «cycles de la lutte des classes».

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vendredi 24 août 2007

Fonctionnaires/gens du privé : vivons nous sur la même planète ?

Le sens commun oppose quotidiennement le secteur public au secteur privé. Il y a plusieurs raisons à cela, et également plusieurs moyens pour propager l’idée même de cette opposition. La presse écrite, et plus particulièrement les magazines hebdomadaires économiques ou d’actualité, a pris l’habitude de consacrer régulièrement des dossiers à la fonction publique et aux supposés « privilèges » de ceux qui en font partie, les fonctionnaires (et à la télévision aussi). Bien des arguments sont invoqués pour fustiger ces derniers et bien sûr les organisations dans lesquelles ils exercent leurs métiers. En témoigne les parutions plus ou moins récentes qui mettent en exergue l’impossibilité de réformer l’administration, la réforme étant entendue comme l’économie des moyens (humains et financiers), de juguler l’inflation jugée irrationnelle des effectifs de certains ministères, limiter la puissance des syndicats qui conduit à l’immobilisme, etc. Toutes ces raisons font que le discours ambiant oppose salariés du privé et salariés du public, comme s’il existait deux France, comme si la majorité maltraitée ne pouvait qu’en vouloir à la minorité privilégiée (précisons que le secteur public employait environ 5,95 millions de salariés soit 26,3 % de la population active du pays au 31 décembre 2003).


A l’heure où medias, politiques et sociologues affirment que la « loi du progrès générationnel » – selon laquelle les générations puînées disposeraient mécaniquement de plus de ressources que les aînées – n’est plus vérifiable, il n’est pas étonnant de voir un sentiment d’inquiétude se propager. Celui-ci a pour conséquence directe de renforcer l’attractivité du secteur public auprès de la jeune génération, celle à qui l’on répète à l’envi qu’elle vivra moins bien que ses parents. La dichotomie entre secteur public et secteur privé s’appuie notamment sur le fait que « les mécanismes qui déterminent l’évolution des salaires sont différents : les salaires dans le secteur privé sont davantage sensibles au cycle économique, tandis que dans le secteur public ils font l’objet de négociations centralisées" (Pouget, 2005). En effet, alors que l’économie se mondialise, avoir l’assurance que sa rémunération est encadrée par des procédures et des règlements devient un luxe, tout comme le fait de savoir que l’on conservera une certaine sécurité de l’emploi jusqu’à l’heure de la retraite. Marie Cartier dans son travail sur les facteurs nous montre combien la vision du salariat d’exécution à La Poste a évolué en fonction du contexte économique. Avant les années 1970 les facteurs parvenaient à « mettre à distance leur condition de salarié subalterne », alors que pour ceux recrutés depuis les années 1980, la transformation de leur métier les cantonne à un travail perçu comme « physiquement usant, et dont le prestige et l’autonomie diminuent ».

Outre les agents, la représentation collective de l’administration renvoie dos-à-dos deux espaces : le service public et le secteur concurrentiel. Dans Sociologie de l’administration française (1983), François Dupuy et Jean-Claude Thoenig mettent en avant un sondage réalisé en 1974 dans lequel 77% des personnes interrogées se disaient déjà convaincues que « la machine administrative est trop lourde et compliquée ». Aujourd’hui, lorsque l’Institut Delouvrier publie ses « baromètres » de satisfaction du service public, ce sont toujours les problèmes de personnels et d’ordre organisationnel qui ressortent pour justifier les insatisfactions. Le contraste avec le secteur concurrentiel est énorme : on oppose les « abrités » du secteur public à la précarité de l’emploi et aux dures exigences de la rentabilité du secteur « exposé », mais également la rigidité bureaucratique des structures administratives à la souplesse réputée des entreprises privées.

Le secteur public apparaît donc comme impossible à réformer. Comme si pousser la porte d'une administration publique constituait un formidable voyage dans le temps de 25 ans : la France est immobile, voire en déclin. Pourtant les mutations sont considérables, comme l'a montré Bruno Palier (2006) et un certain nombre de chercheurs en sciences sociales : «la France a connu de profondes transformations économiques, sociales et politiques au cours des décennies précédentes ». Les auteurs de La France en mutation 1980-2005 dégagent trois constatations : le marché, l'ouverture, la concurrence ont partout gagné du terrain ; des changements très progressifs, parfois silencieux, mais très profonds, ont bien eu lieu, mais sans être porté par une vision d'ensemble ; et l'écart entre les changements accomplis et le peu de visibilité politique de leurs étapes permet de comprendre la crise politique que connaît la France, et que l'actualité éléctorale de ces derniers mois ne saurait masquer.

Les preuves du passage de la logique de moyens à la logique des résultats et de la performance pleuvent tous les jours. La Division des Etudes et de la Prospective (DEP) de l'Education Nationale a récemment été rebaptisée DEPP : un deuxième P pour Performance. "L'idéologie gestionnaire" telle que décrite par V. de Gauléjac s'infiltre partout, le management règne, dans le public comme dans le privé, et les quelques rares endroits du secteur public qui ne sont pas encore concernés par la tendance sont soit des "placards", soit promis au "changement" à court terme. Le vocabulaire du changement, et du changment par le projet est omniprésent : conduite de projet, projet d'établissement, contrat de projet Etat-Région, projet professionel personalisé, projet de vie, projet de couple, partout les mots sont là pour construire une réalité. Le caractère performatif de la sémantique est indéniable, nous sombrons dans le culte du projet, que l'on soit du privé ou du public.

Nous ne sommes donc pas si différent, à nous aussi la fatigue d'être soi, le stress du résultat, la dictature du chiffre. Et les réformes prévues (retraites, régimes spéciaux, service minimum, etc) gomment de plus en plus les dernières différences, ces différences qui parfois pouvaient se justifier par le fait que les fonctionnaires gagnent moins que les autres. Ah oui, on l'oublie souvent celle là. Pourtant, l'INSEE nous le rappelle un peu tous les ans. "Compte tenu d’une hausse des prix de 1,8 % en moyenne annuelle en 2005, le salaire brut moyen [des agents de l'Etat] a diminué de 0,2 % en euros constants et le net de 0,9 %". Considérant en plus que les enseignants restent les cadres les moins bien payés de la fonction publique, et que ma génération, celle qui commence à travailler dans les années 2000, devra certainement cotiser plus de 45 ans, on a du mal à croire que ces fonctionnaires puissent encore être taxés de privilégiés.

Sources :
Blais André et Dion Stéphane, « Les employés du secteur public sont-ils différents ? », Revue Française de Science Politique, 1987, Vol. 37, N°1, p. 76–97.
Cartier Marie, Les facteurs et leurs tournées, un service public au quotidien, La Découverte, Paris, 2003, pp 173-198.
Chauvel Louis, Le destin des générations : structure sociale et cohortes en France au XXe siècle, PUF, Paris, 1998.
De Gaulejac Vincent, La société malade de la gestion. Idéologie gestionnaire, pouvoir managérial et harcèlement social, Le Seuil, Paris, 2005.
Dupuy François et Thoenig Jean-Claude, Sociologie de l'administration française, Armand Colin, 1983.
Gombault Vincent et Quarré Dominique, Les salaires des agents de l'État en 2005, INSEE Première, Numéro 1151 - juillet 2007.
Palier Bruno (sous la dir de), La France en mutation 1980-2005, Presses de Sciences Po, Paris, 2006.
Pouget Julien, « Secteur public, secteur privé : quelques éléments de comparaisons salariales », Les salaires en France - Édition 2005, INSEE, Paris, 2005, pp 29-40.
Institut Paul Delouvrier, 4ème édition du baromètre BVA / Institut Paul Delouvrier

Crédit illustration : Blog de Fañch
Edit 25.08.07 : Gizmo vous propose ce document pour compléter le propos sur les salaires des enseignants.

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jeudi 23 août 2007

Suis-je un profiteur du peuple ?


Il m'est arrivé une histoire assez surprenante hier en fin d'après midi, alors que je faisais mes courses dans une entreprise de grande distribution bien connue. J'arrive au rayon boulangerie, un peu pressé par ce que fin de la liste de courses, envie d'en découdre avec la file d'attente à a caisse, passer ma carte fidélité, payer et partir dans mon home sweet home. Un monsieur d'âge respectable se tient là, devant les boules tranchées aux graines de sésame, et moi qui ai le bras long, c'est bien connu, je souhaite atteindre les boules classiques, nettement plus apetissantes (et moins chères). Je demande "Pardon" au monsieur et profite de l'intervalle ainsi créé pour me glisser tel Dominici dans les lignes arrières anglaises. Mais là le probable jeune retraité se fige sur place.

Crime de lèse-majesté odieux de ma part, il considère que je lui ai piqué son espace vital. L'air de rien, mais de manière frontale, la discussion s'engage. Avec une formule détournée il me fait bien comprendre que je manque de "savoir-vivre avec les autres". Je pratique selon lui le "pousse-toi de là que je m'y mette" ! Il me regarde et me jauge, et affirme d'un ton péremptoire que "ce sont des pratiques de fonctionnaires" (allez savoir pourquoi), et me pose la question fatidique : "vous êtes fonctionnaire ?". Oui je le suis (enfin presque, je devrai signer mon procès-verbal d'installation dans mon nouveau poste d'ici une quinzaine de jours). "Vous êtes dans l'enseignement ?". Un peu bluffé sur le coup par la formidable accuité de mon interlocuteur, je ne trouve rien de mieux que de lui répondre sur un ton ironique : "vous auriez du faire sociologue !". Et lui de me répondre : "ah, c'est la pire espèce les enseignants, des profiteurs du peuple". L'échange se muscle, mais nous controlons respectivement nos pulsions, lui se dirige vers les légumes, moi vers les caisses. Fin de l'histoire.

Qu'est ce que ce petit dramelet contemporain peut bien nous apprendre ? Que la génération baby-boom est moins polie que ses enfants et petits-enfants ? Ca c'est pas nouveau... Que les fonctionnaires sont encore des pestiférés alors qu'ils n'ont plus vraiment de privilèges, ou qu'en tout cas ils n'en auront plus à très court terme. Ca aussi nous le savons. Non, on apprend plutôt qu'on peut être retraité et bien malin. Un français sur quatre exerce dans la fonction publique. SI les orientations politiques actuelles vont tendre à faire diminuer ce chiffre, le petit monsieur aigri avait quand même une grande probabilité de tomber juste. Oui mais il a deviné que j'étais "dans l'enseignement". Alors quoi ? Mon habitus de prof se voit déjà ? Est-ce mes lunettes rectangulaires ? Ma chemise à rayures ? Ou bien ma gabardine qui lui a rappelé les robes des ses instituteurs d'antan, ceux qui tapaient forts avec leurs règles carrés pour que l'algèbre rentre mieux dans les petites têtes blondes, ceux que Brighelli et consorts voudraient voir rescuciter. Plus sérieusement, un fonctionnaire sur deux exerce dans le ministère de l'Education Nationale. Voilà la probabilité de tomber de juste qui augmente. Et moi de tomber dans le panneau dressé par le vieil aigri. Avec une impression que cette manie de dresser une partie de la population contre l'autre propre à certains a fait des petits dans la tête de mes concitoyens.

Cette petite note servant d'éxutoire à ma colère d'hier au soir, je vous réserve quelques petits biscuits, plus intéressant, sur les fonctionnaires et les retraites, ou comment cet énergumène s'est permis d'insulter un membre d'une génération sacrifiée pour la sienne, qui paiera sa retraite et celle de sa femme jusqu'à presque 70 ans.


Crédit photo : - senior citizen - par RoOobie sur Flickr

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mardi 21 août 2007

Pour vivre vieux, vivons à deux


Retour de vacances, il y a des restes de romantisme dans l'air, et l'Insee nous aide à y voir plus clair : pourquoi recherchons nous l'âme soeur ? Peut-être pour vivre plus longtemps. Non l'amour ne rend pas immortel, mais le couple protège de la maladie et de la mort. Et moi qui aie toujours cru que les vieilles filles devaient leur longévité précisément au fait qu'elles sont restées des "filles"... ai-je eu tort ? L'INSEE nous répond avec une petite enquête plutôt intéressante, voyez plutôt.


Rachid Bouhia, de la division enquête et études démographiques de l'INSEE, nous livre ce mois ci les résultats d'une enquête fort intéressante. Si on ne le savait déjà, elle nous apprend que les femmes de 40 à 90 ans sont moins en couple que les hommes du même âge. Pourquoi ? Parce que les femmes vivent plus longtemps que les hommes, parce que les veuves ont moins tendance à reformer des couples que les veufs, et cette tendance se retrouve à l'identique chez les divorcés/séparés et les divorcées/séparées. On a tous l'exemple du beau-frère ou du tonton qui se remarie avec une jeunette, de la tante ou la cousine qui reste célibataire après le décès de son mari.

Autre élément intéressant, on retrouve dans cette étude le fait que le mariage ou le couple est un outil d'ascencion sociale pour bien des femmes. Ainsi, le fait de n'avoir jamais été en couple est beaucoup plus présent dans les catégories sociales basses pour les hommes (les femmes des catégories sociales basses cherchant un partenaire plus élevé socialement qu'elles), et dans les catégories sociales hautes pour les femmes (là encore, le fait de ne pas trouver de conjoint socialement plus élevés peut conduire à une situation de célibat). Une lecture plus féministe de cette donnée consisterait à penser que les hommes ne veulent pas de femmes ayant un statut social plus élevé que le leur, car ils ne pourraient ainsi laisser exprimer leur domination, trait particulier se rattachant au genre masculin. De même l'ouvrier agricole ne trouve personne à dominer... Cela nous ramène à ce slogan si bien trouvé : la femme est le prolétaire de l'homme.

L'étude nous apprend donc qu'à âge donné, le célibat est moins protecteur que la vie de couple. Les personnes seules sont plus nombreuses à décéder, et cette surmortalité est plus prononcée chez les hommes que chez les femmes. Mais le syndrome de la "vieille fille" que j'évoquais en introduction est bien réel : les individus n'ayant jamais connu que le célibat ont une plus faible mortalité aux trés grands âges. Il y aurait un "effet de choc" du au passage de la vie de couple au célibat. Ainsi, lorsqu'un conjoint décède, le conjoint survivant est plus exposé aux risques de décès. Exposition que ne connaitra pas la personne restée seule toute sa vie.

Par contre, le célibat endurci est à la source d'une surmortalité entre 40 et 60 ans, et c'est plus marqué chez les hommes. "Pour les quadragénaires en célibat continu, le risque de décéder dans l’année est presque double de celui d’une personne de mêmes caractéristiques mais vivant en couple." Gare au passage de la quarantaine si vous êtes seuls ! Mais comme pour les femmes, le rapport s'inverse lorsque l'on se dirige vers les grands âges. Et les hommes qui ont vécu seuls ont une espérance de vie plus importante que les autres entre 70 et 80 ans.

Au niveau sociologique, l'enquête nous montre que "la surmortalité au sein de la catégorie des individus en célibat continu est amplifiée par la présence de personnes qui cumulent les difficultés. Un état de santé dégradé, l’exclusion du marché du travail ou des conditions de vie précaires interagissent et s’imbriquent avec la difficulté de se mettre en union."

Enfin, on apprend que les hommes sont plus fragiles que les femmes après une séparation ou le décès de leur conjoint. Et l'auteur de l'étude de rappeler très justement que "la répartition des tâches dans le ménage rend les hommes moins autonomes pour vivre seul, notamment aux âges avancés, et accentue pour eux le choc d’une séparation ou du décès de la conjointe." La séparation va de pair avec des risques de mortalité accrus dans les milieux sociaux défavorisés. On peut ici penser à la carrière de l'exclus tel que V. de Gauléjac a pu le mettre en avant dans son ouvrage La lutte des places. D'une position fragile, l'individu peut évoluer vers une situation de rupture : si trop de lien sont rompus, alors les autres rompent aussi. C'est l'enchaînement des chocs : chômage, éloignement de la sphère productive, perte de revenus, rupture conjugale, perte du logement, addictions et comportements à risques, etc. La rupture conjugale apparaît donc comme une étape dans un processus d'exclusion (je préfère le terme désinsertion, mais bon..) qui fragilise l'individu et l'expose à un risque de surmorbidité et surmortalité.

Heureusement, les enfants sont là pour protéger le couple. Cela pourrait être une réponse à Corinne Maïer, auteur du livre No Kid : 40 bonnes raisons de ne pas faire d'enfants. En voilà une bonne pour en faire deux ! Pour les hommes comme pour les femmes, le fait d'avoir deux enfants protège des conduites à risques et apporte une meilleure intégration sociale, deux éléments qui font chuter la surmortalité.

Voilà une petite note de vacances, qui apporte son lot de réponses à nos préjugés sur les hommes, les femmes, la vie, le couple... Seul sur le sable, les yeux dans l'eau, mon rêve était trop beau... Pauvre Roch, il a aujourd'hui 44 ans, j'espère qu'il a retrouvé Hélène. Moi en tout cas, j'ai bien fait de me marier !

Source :
INSEE Première, Les personnes en couple vivent plus longtemps, n°1155, août 2007.

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jeudi 2 août 2007

Pause estivale... ou définitive ?

Et voilà, une quarantaine de notes plus tard, bilan et pause. Au bilan, une fréquentation grandissante, quoique limitée, puisque je n'ai pas la chance de certains, qui se sont fait référencer par des portails anarchistes dès leurs débuts... Ou encore la maestria dans l'art de blogger comme peuvent l'avoir Manuel ou Nicolas. Au bilan toujours, des notes inégales, dans leur contenu, dans leur objectivité (j'en ai conscience, si si), dans leur intérêt peut-être. Mais des commentaires toujours sympathiques et intéressants. Pas de débordement, que de la courtoisie. Ca fait plaisir.


Malheureusement, si ce blog s'arrête une quinzaine de jours, je ne suis pas sûr qu'il va pouvoir repartir. En effet, ma nouvelle situation professionnelle va me faire faire un peu plus de 1000 km en voiture par semaine pendant l'année scolaire qui s'annonce (qui a dit que les profs étaient des feignants assistés privilégiés ??), ce qui devrait me prendre pas mal de mon temps. Pas sur d'avoir une connexion Internet dans ma piaule en Charente. Et parce que blogger ou conduire, il faut choisir. Si on fait les deux en même temps, il y a des risques majeurs pour sa santé, et aussi de se faire arrêter par la maréchaussée. Pour l'instant, tout reste en suspend.

Si comme moi vous partez loin de chez vous pour vous ressourcer, n'ouliez pas que vous avez beaucoup de chance : pour en savoir plus, cliquez ici. Bonnes vacances pour ceux là, bon courage pour les autres.
@+

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mercredi 1 août 2007

Le salaire minimum et l'Ecole du Public Choice

Il est des économistes qui ne croient plus en la bonté de l'Homme. Ou plus précisément, en l'homme politique. Ils se retrouvent, ces économistes, dans l'Ecole dit du Public Choice (ou "Choix public" pour ceux qui n'ont pas révisé leur anglais en lisant le dernier tome de Harry Potter). Que racontent-ils ces économistes ? Pour William D. Nordhaus, la conjoncture est fonction des actions politiques, actions menées par des hommes et des femmes qui ne sont pas moins rationnels que les autres. Conséquence : les hommes politiques nous disent qu'ils oeuvrent pour l'intérêt général, alors que leur rationalité les fait oeuvrer dans le sens de leur intérêt personnel, en l'occurence leur réélection. Voyons de quoi il retourne, en examinant les dernières nouvelles concernant le salaire minimum en France et aux Etats-Unis.


Monsieur N. Sarkozy l'a dit, "pas de coup de pouce au SMIC". Et il l'a fait : aujourd'hui un Smicard gagne à peine 1000€ net par mois, pour peu qu'il ait la chance d'avoir un emploi à temps complet. La progression est fixée au minimum légal de 2% par rapport à 2006. Pourtant M. Sarkozy s'était proclamé candidat du pouvoir d'achat pendant la campagne des Présidentielles. Oui mais voilà, le SMIC c'est pas bien puisque c'est une entrave à libre fixation du salaire sur le marché du travail. Et puis le "paquet fiscal" c'est tellement chouette que ça vaut bien une augmentation de salaire. Comment ça le "paquet fiscal" ne concerne quasiment pas les Smicards ? Ah zut... Bon, on s'en fout, on vient d'être élu, on a 5 ans devant nous pour contenter les Smicards. C'est très caricatural, mais c'est un peu comme ça que ça marche les théories du Public Choice. La politique, c'est un marché, où l'on échange des promesses contre des voix. Plus question de projet de société, mais une sorte de démocratie individualisée, de check-list qui permet de n'oublier personne, de contenter tout le monde et de récolter un maximum de voix : les retraités, les paysans, les industriels, les handicapés, les gars du batiment, les parisiens, les corses, les smicards, les autres... Tiens, les smicards ? Boaf, 2.5 millions de personnes, une catégorie de la population comme une autre.

Sur le marché politique, il n'y a pas que des relations entre hommes politiques et électeurs, il y a également des contrats entre politiques. "Vote pour mes paysans, je voterai pour tes industriels", c'est comme ça que le résume le très très libéral Cercle Bastiat (gauchistes, attention les mirettes !). Frédéric Bastiat, penseur, économiste et homme politique libéral du XIXe siècle, n'était autre que l'économiste préféré de Ronald Reagan. Revenons à nos moutons, l'accord entre hommes politiques de partis opposés sur des questions précises est particulièrement employé aux Etats-Unis où on le nomme "logrolling". Et c'est l'observation de cette pratique qui a conduit Tullock et Buchanan à faire une analogie entre la vie politique et la microéconomie : les acteurs sont rationnels et ils cherchent à maximiser la satisfaction de leurs intérêts individuels.

Le salaire minimum aux Etats-Unis, c'est différent. Le salaire minimum n'a rien à voir avec celui que nous connaissons. Il est quasiment l'apanage des moins de 25 ans, il concerne également plus de 2 millions de personnes (mais rappelons que la population américaine est 5 fois plus nombreuse que la population française). Pour autant le salaire minimum n'y est pas moins symbolique. Un entrefilet de la dernière Note de veille du CAS nous apprend, au risque de flanquer la migraine à notre Président, que le salaire minimum américain connaîtra une progression de 40% en deux ans ! Cela faisait 10 ans qu'il n'avait pas été revalorisé, il fallait plus qu'un coup de pouce. Eh oui, le Smic américain c'est le truc qu'on oublie toujours au fond du garage. Qu'on ressort tous les 10 ans. Il y avait quoi en 1997 déjà ? Ah oui, la réélection de Bill Clinton... Il y a quoi en 2009 ? Ah oui, les élections présidentielles américaines. George W. Bush ne pourra s'y présenter une troisième fois, mais tout est bon à prendre pour que la place encore chaude revienne à un copain Républicain. En se référant au récent article de Catherine Sauviat de l'IRES, on apprend que "cette mesure a été adoptée grâce à son inclusion par les Démocrates dans une vaste proposition de loi portant à 120 milliards de $ les dépenses supplémentaires prévues pour le maintien des troupes américaines en Irak et en Afghanistan, proposition soutenue par les Républicains et la Maison Blanche." Autrement dit, "vote pour mes smicards, et je voterai pour tes soldats".

Sources :
Buchanan James D., Tullock Gordon, The Calculus Of Consent, 1962
Nordhaus William D., The Political Business Cycle, 1970
Conseil d'Analyse Stratégique, Note de veille n°69, 30 juillet 2007
Sauviat Catherine, "Etats-Unis. La revalorisation du salaire minimum : une réalité après dix ans de gel", Chronique internationale de l'IRES, n°107, juillet 2007.

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