mardi 22 mars 2011

Le FN progresse-t-il vraiment partout ? Attention aux chiffres !


Un article du blog politique du Monde.fr titre Le FN progresse partout, dans ses bastions et au-delà. En est on si sûr ? Il y a un travers dans lequel la presse nationale tombe souvent, c'est de considérer les élections cantonales comme des élections nationales. Or, le mode de scrutin même en fait une élection très locale. Beaucoup plus que les régionales, parce que c'est d'abord un scrutin uninominal, qui nécessite une identification forte du candidat dans son canton et non un scrutin de liste. Et ces élections offrent encore moins que les élections municipales une photographie nationale du vote car les Conseils Généraux ne sont renouvelés que par moitié. La moitié du corps électoral n'est donc pas appelé à voter.

Mais les récents sondages en vue de l'élection présidentielle plaçant Marine Le Pen a un score très élevé poussent les journalistes à voir les cantonales 2011 comme un signe avant coureur du résultats d'avril-mail 2012. Et ils n'hésitent pas à titrer sur la progression du FN dans tous les territoires, supposant que le vote populaire acquis par Nicolas Sarkozy en 2007 est à son tour siphonné par l'extrême droite en 2011.

Mais les cantonales sont des élections fortement soumises à des influences bien plus locales que nationales : la prime au sortant est généralement forte (cf les Présidents de CG réélus dès le premier tour ou presque), les postes de conseillers généraux permettant souvent une "notabilisation" de leurs occupants, etc. Ainsi par exemple lorsque l'offre politique à droite se limite à la droite classique et l'extrême droite, un candidat FN peut parfois profiter du fait que l'élu sortant UMP ne se représente pas pour glaner des voix à la droite de gouvernement, au détriment du dauphin désigné.

La mécanique de l'abstention
Surtout cette "percée" du Front National doit énormément à l'abstention. Deux facteurs expliquent cela. L'électorat Front national est plus mobilisé que les autres, et son corollaire, l'électorat des autres formations est moins mobilisé et plus volatile. Ainsi le premier parti des ouvriers n'est pas le Front National comme le pensent certains, mais l'abstention [1]. Et ensuite seulement les partis traditionnels (gauche d'abord, droite ensuite), et enfin l'extrême droite.

On peut prendre plusieurs exemples pour illustrer des cas de figures où le FN parvient au second tour mais de manières fort différentes.
Prenons le canton de Rennes-Le Blosne. Le Blosne est un quartier populaire du sud de Rennes, classé en ZUS (Zone Urbaine Sensible). Les résultats de ce dimanche font que le 2e tour verra s'affronter un candidat PS et un candidat FN. Du jamais vu. Si on y regarde de près pourtant, le FN n'améliore pas son score en nombre de voix, il en perd même quelques unes, passant de 518 voix en 2004 à 515 voix cette année. Et pourtant il passe de 8.3% à 14.3% des bulletins exprimés (+ 6 points). Si le FN est au second tour, ce n'est pas grâce à sa percée, mais surtout à cause de la non mobilisation de l'électorat de la droite (et aussi de la gauche dans une moindre mesure).

A contrario, dans le canton de Pleine-Fougères, plus au nord dans le département, le FN a vu le nombre de ses voix doubler, alors que le nombre de voix pour la droite a lui été divisé par 2,5. Mais dans une configuration de l'offre politique très différente : en 2004, un candidat divers droite très identifié se présentait, alors qu'en 2011 ce même candidat s'est désisté un mois avant le scrutin. Restait en face de la gauche le Front National et un candidat sans étiquette plutôt centriste et peu connu. Or le scrutin à deux tours n'avantage jamais les centristes (au premier tour, pour faire le plein de voix, il vaut mieux rassembler son camp de part et d'autre du clivage gauche/droite, et c'est au second tour que l'on cherche à capter l'électeur médian). Bref, ici le FN se retrouve au second tour faute d'une offre politique suffisante à droite. Là encore, c'est plus le contexte local qui explique la "percée" du FN qu'un mouvement de droitisation de la France entière.

Enfin, on peut évoquer un troisième cas de figure qui ne s'est pas présenté dans ce département de l'Ille et Vilaine ; c'est la présence du FN au second tour pour des causes inverses au cas de Pleine-Fougères : une trop grande dispersion de la droite de gouvernement peut conduire, dans un contexte où le FN travaille son image de respectabilité, au fameux "21 avril à l'envers".

Même si l'image du FN change, et que certains peuvent se dire tenté par le vote Frontiste, il est toujours difficile d'appréhender la réalité du phénomène. Les commentateurs auraient beau jeu d'être un peu plus nuancé.

EDIT : [1] voir Annie Collovald, Du populisme du FN, un dangereux contresens, Editions du Croquant, 2007. Une interview d'A. Collovald ici.

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