jeudi 28 février 2008

De la démocratie sur la planète Terre

5 janvier, élections présidentielles en Géorgie ; 12 janvier, législatives à Taïwan ; 20 janvier et 3 février, présidentielles en Serbie ; 27 janvier, élections régionales en Allemagne ; 5 février, "super Tuesday" des primaires américaines ; 8 février, législatives en République Tchèque ; 17 février, 1er tour des présidentielles chypriotes ; 18 février, législatives au Pakistan ; 19 février, élections présidentielles en Arménie ; 2 mars, présidentielles en Russie, 9 mars législatives en Espagne ; 9 et 16 mars, municipales et cantonales françaises ; 14 mars, législatives en Iran... j'en ai oublié la moitié, et toute l'année 2008 est du même tonneau que son premier trimestre. Le planning de la démocratie est chargé, est-elle pour autant en bonne santé ? A la lecture du dernier ouvrage de Guy Hermet, L'hiver de la démocratie, ou le nouveau Régime (Armand Colin), on est en droit d'en douter.

Nous serions dans les années 2000 dans la même position que les français du début des années 1780, telle est la ligne force de la théorie de Guy Hermet. On ne jure que par le régime en place, même si celui-ci est condamné, et nous sommes incapables d'imaginer des solutions alternatives, malgré les quelques prémices de changement perceptibles. C'est un peu comme si nous étions aveugles, mais pas complètement sourds. Quelque part, au fond de nous mêmes, nous savons que la démocratie n'a plus de démocratique que le nom. La souveraineté du peuple est devenue une expression taboue, les élites ne prennent même plus la peine de feinter la recherche de l'intérêt général, la démocratie est à court de carburant.
Abandonnant à ses mythes le carré des intellectuels, le Peuple n’adhère plus guère à la fiction du gouvernement de tous et pour tous dont se réclame de plus en plus mollement notre démocratie. Naguère, c’étaient les élus du suffrage universel qui faisaient à tout le moins semblant de dépasser les intérêts particuliers pour servir l’intérêt de tous. A présent, c’est la majorité des électeurs ou des abstentionnistes qui, faute d’imaginer une autre option politique pourtant proche, se donne l’air de vivre dans un Etat de la démocratie tardive dont ils soupçonnent pourtant qu’il ne répond plus à ses prétentions.

Une agonie lente mais inévitable
Par ailleurs Guy Hermet ne promet ni ne parie sur un remplacement de la démocratie à court ou moyen terme. Le lexique va perdurer (dans le livre, G. Hermet propose une analyse assez intéressante des déviations sémantiques, des nouveaux tabous, allant jusqu'à évoquer le "préservatif lexical") mais le sens des mots va changer, et de nouveaux vont apparaître : c'est la novlangue de la gouvernance.

Le débat d'idée, la confrontation, laisse la place au consensus mou issu de la gouvernance. Ce n'est plus l'expression de la majorité qui compte mais la cooptation de ceux jugés "utiles" pour décider, par ceux qui sont parvenus au pouvoir grace à un populisme "bon chic bon genre" dans un régime qui se dirige doucement vers l'agonie. La complexité croissante des affaires publiques rend le système de gouvernement démocratique de moins en moins maniable et de moins en moins efficace. Ce n'est donc plus à la majorité du peuple qu'il faut confier le soin de gouverner, mais à la majorité des personnalités qualifiées en quelque sorte. On constate la technocratisation de la démocratie, avec quelques exemples à la clé : la commission européenne et ses commissaires nommés comme archétype bien sûr, mais plus proche de nous toutes les commissions et conseils mis en place ces dernières années pour parvenir à aboutir sur des consensus, depuis le CAE jusqu'à la commission Attali, commissions qui finalement confisquent le pouvoir au peuple. Et la politique emprunte au management le principe de gouvernance. On irait donc vers une sorte de "gouvernance démocratique", dont Guy Hermet rappelait récemment sur France Culture à juste titre qu'il s'agit là d'une magnifique oxymore.

Pourquoi la démocratie va à sa fin ?
Parce que la démocratie est un régime qui doit sans cesse se justifier, trouver des sources de légitimation, principalement dans les élections. Rappelons qu'il s'agit là d'une acception moderne de l'idéal démocratique, car l'élection était considérée par un certain nombre de penseurs grecs comme une menace pour la démocratie. Les élections risquaient effectivement de voir s'installer au pouvoir les plus beaux orateurs et de menacer la démocratie athénienne qui reposait essentiellement sur le principe du tirage au sort des citoyens amenés à gouverner.

Revenons à nos élections : pour être élu, il faut promettre. N'importe quel candidat à un poste politique le sait, le programme compte beaucoup plus que le bilan. S'il était facile de promettre dans les débuts de la démocratie, la chose est beaucoup plus délicate à l'heure actuelle, notamment parce que la globalisation de l'économie a considérablement réduit les marges de manœuvres des gouvernements nationaux. Ainsi les premières promesses consistaient à élargir le droit de vote. On promet le suffrage universel masculin, puis féminin, puis on abaisse l'âge du vote.
Tout cela ne coûtait pas très cher. Ensuite, on a promis la démocratie sociale : l’assurance- maladie, les pensions de retraite, la sécurité sociale en général. Maintenant, la démocratie arrive au fond du réservoir des promesses réalisables. Le déclin de la démocratie – et ce n’est pas une coïncidence – accompagne la fin de l’Etat-providence.
Interview de G. Hermet, Le Soir, 8/01/2008

Ainsi la fin de l'Etat-providence ne serait pas tant la conséquence de la domination de la pensée néolibérale que la cause. Le néolibéralisme se serait engouffré dans la brèche constituée par l'épuisement de la démocratie sociale. Et comme la démocratie a besoin de se justifier, elle ne peut faire du sur place. Arrivé au terme de ce que l'on peut promettre, la seule solution est d'aller en arrière, d'où le démantèlement progressif des services publics auquel on assiste. Il faut dire que cette conception prend à rebrousse poil le discours anti-libéral classique.

La démocratie connait certes une expansion géographique, comme je le notais en introduction de ce billet, mais cette expansion correspond plus à la volonté des anciens pays démocratiques de voir coûte que coûte leur régime vieillissant s'exporter pour lui faire connaître une seconde vie. Et ce n'est qu'apparence, la démocratie souffrant réellement de son manque de profondeur. Si l'idéal démocratique est toujours vivant, et l'envie de politique est toujours présente (en témoigne les faibles taux d'abstention des derniers scrutins), le régime politique démocratique, en tant que combinaison d’institutions politiques et de pratiques gouvernementales, a sérieusement du plomb dans l'aile.

Sources :
- Guy Hermet, L'hiver de la démocratie. Ou le nouveau régime, Armand Colin, 2007, 230p.
- Interview de G. Hermet, Le Soir, 8/01/2008
- Pour écouter un débat à propos de la démocratie avec Guy Hermet et d'autres discutants : Du grain à moudre, mardi 19 février 08, France Culture

Crédit photo : Luc Legay sur Flickr

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Jedi's links [4]

Et c'est reparti mon kiki.

Dur début de semaine, c'est impressionnant comme le net modifie en profondeur les comportements. Après un break off-line (mon cher Jacques Toubon, si tu nous lis...) de quinze jours, l'ouverture de mon Netvibes ressemble à un mauvais cauchemar ; des centaines de notes non lues à droite, à gauche, au milieu, au dessus, en dessous, dans l'onglet d'à côté. Surtout que je rejoins complètement le constat de Jean-Edouard de RCE : la période est tellement riche en sollicitations et stimuli divers que l'envie de rédiger 1000 notes se transforme en incapacité d'en rédiger une seule digne de ce nom.

Qu'à cela ne tienne, voici quelques propositions de lectures :

L'économie de marché est-elle libérale ? par Philippe Mignard et Christian Chavagneux. C'est l'éditorial du dernier numéro de L'économie politique. Et je vous assure que la question mérite bien d'être posée, contrairement à ce que l'on pourrait croire.

Marre d'encaisser en silence. Un article particulièrement intéressant sur le site de la revue Regards (qui vaut le coup d'oeil !), immersion dans un pays que l'on traverse une ou deux fois par semaine sans y prêter attention, celui de la ligne de caisse de votre supermarché fétiche. Le 1er février, les habitantes de ce pays (il n'y a quasiment que des femmes) sont sorties de chez elle. Et ça leur a fait du bien.

Sur le chemin de l’école 2.0, par Jean-Marc Mannach sur le site InternetActu, fort stimulant. Merci à Olive de me l'avoir fait connaître, j'étais passé à côté.

Dans le bloc-note de Philippe Meirieu des propos intéressant sur la prise en compte du mérite dans la rémunération des enseignants et l'obligation de résultats dans le système éducatif.

Enfin le point de vue de Jean Pisani-Ferry publié cette semaine dans Le Monde : Pourquoi l'Europe s'enrhume ?

Bonnes lectures

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mardi 26 février 2008

Un taggeur sachant tagger...

Me suis fait rattraper par la patrouille Colombi... Denis Colombi d'une heure de peine m'a taggé. Whazat ? En gros ça ressemble aux chaînes de courriers du XXe siècle, ou plus proche de nous à une chaîne de mail, sauf que c'est sur des blogs. Un bloggeur a du, un jour, raconter 6 choses insignifiantes sur sa vie et demander à 6 autres bloggeurs de faire de même, raconter 6 choses que les lecteurs du blog ne savent pas. Et ainsi de suite, jusqu'à ce que mon heure arrive. Une fois n'est pas coutume, je vais me plier à cette norme sociale. Mais pas sans tenter d'analyser pourquoi je le fais.

1) Parce que Denis m'a taggé et que j'aime bien lire Denis, donc pour lui faire plaisir, par courtoisie et politesse, je le fais.
2) Parce que ça ressemble à une sorte de rite de passage (la blogosphère a quelque chose de tribal), et que ça n'est pas inintéressant de participer à ce genre d'expérience.
3) Parce que ça ressemble également à un système d'échange. D'échange de lien (hypertexte en l'occurrence), mais aussi d'échange de reconnaissance entre guillemets, et ça rejoint le point 2.
4) Dans la continuité du point 3 ça me rappelle Bronislaw Malinowski, les Trobriandais et le Kula, mais également Marcel Mauss et sa théorie du don. Denis nous a donné 6 éléments de sa personnalité, on ne peut refuser ce don, et on se doit d'une certaine manière de contre-donner. Le don est à la fois la source d'une certaine forme de lien social mais également une relation de pouvoir puisqu'il oblige celui qui reçoit à accepter le don puis à le rendre d'une manière ou d'une autre.

Ne t'inquiète pas Denis, j'ai parlé de Kula et pas de Potlatch, je ne vais pas révéler 7 points et te tagger en retour pour que tu en donne 8. Bref, aucune rivalité à détecter là dedans, juste de la réciprocité.

Allez zou, c'est parti :

#1 : En fait je crois que j'aurai aimé être cartographe. Dès que je découvre une nouvelle contrée, je ne peux pas m'empêcher d'acheter une carte détaillée du coin, au grand dam des personnes qui m'accompagnent.

#2 : D'une certaine manière je pense que c'est lié au point précédent, je suis fasciné par les finistères, les caps, les péninsules... Je rêve de parcourir tous les "bouts" de la planète, je voudrais apprendre à piloter pour les survoler, et à surfer pour communier avec la vague (ça c'est mon côté "Westside")

#3 : et pour finir la série géographe frustré, j'adore les phares ! Ben oui, c'est la dernière maison qu'on trouve au bout de la terre, le phare. D'ailleurs je préfère les phares sur terre aux phares en mer.

#4 : j'aime le moment quand dans la salle des profs tu lance un "t'as entendu ce matin à la radio ?", et tout le monde sait que tu parles de l'invité de France Inter de 8h20... et non pas celui d'RTL de 7h55.

#5 : la première année de sociologie est fascinante, la deuxième douloureuse, la troisième déconcertante, et la quatrième passionnante. Et le reste de votre vie s'en trouve changé. Je veux allez voir comment c'est plus loin...

#6 : mon instrument préféré est la contrebasse... c'est physique autant que musical, c'est un instrument qui ne fait pas seulement vibrer mes tympans mais mon corps tout entier. Et je ne pense pas être le seul dans cette situation. Un physicien pourrait peut être m'expliquer pourquoi les graves nous font vibrer.

Désolé pour ceux qui auront trouvé ce billet déplacé parce qu'un peu hors normes et très inhabituel. Tant mieux si certains sont content d'en savoir un peu plus. I did the job, comme on dit. Merci Denis. A mon tour de passer le témoin. And the winners are :
- Manuel Canevet, de Toujours Plus,
- Nicolas Anoto, de Prof&Militant
- François Briatte, de Boite Noire s'il passe par là.
- Christophe Foraison, de SOS...SES
- Gizmo, mais je pense que c'est peine perdue ; je ne sais pas comment traduire tag en langage Mogwaï.
- et puis je me défile pour le dernier, Denis a déjà vidé ma liste...

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lundi 25 février 2008

Mon patron dans la tourmente ?

Sondage, tu me fais tourner la tête... Ou plutôt celle de mon patron, le Ministre Darcos.

Devoir de réserve et neutralité du professeur obligent, je ne parlerai pas de la personne de Xavier Darcos, ni même de sa fonction, mais plutôt des sondages qui pleuvent sur Périgueux, ville dont il est actuellement le premier magistrat. A mon retour en France, après une pause de 15 jours, qu'apprends-je ? Henri Salvador est mort, Nicolas Sarkozy multiplie les bourdes alors qu'il est déjà en posture délicate (Mémoire de la Shoah, défiance vis-à-vis du conseil constitutionnel, "casse toi pauv'con"...) et mon grand chef garderait son fauteuil de Maire dès le premier tour, comme la dernière fois.

Et puis dimanche, c'est la déroute : une nuit de 12 heures pour se remettre d'un vol aussi long et d'un France-Angleterre perdu, et pouf, X. Darcos en passe de perdre Périgueux. Mais que s'est il passé en 24h ?

Le sondage donnant Xavier Darcos gagnant au premier tour est un sondage IFOP réalisé auprès d'un panel de 505 personnes les 20 et 21 février. Celui le donnant perdant au second est un sondage BVA de 603 personnes le 20 février. A la lecture de ces informations, vous devriez avoir deux réactions :
1) Ces panels sont faibles, d'habitude les sondages d'opinion sont effectués auprès d'un bon millier de personnes afin de réduire la marge d'erreur
2) Mais bon Périgueux c'est pas la France, après tout il est normal qu'un échantillon de Pétrocoriens soit plus réduit qu'un échantillon de Français.

Comme dirait Julien Lepers, "c'est la première réponse qui compte". Effectivement la deuxième partie du raisonnement est erronée. C'est contre-intuitif mais c'est comme ça ; ce n'est pas parce que la population sur laquelle on projette des prévisions statistiques est moins importante que l'échantillon à sonder peut mécaniquement être réduit. La marge d'erreur ne varie pas en fonction de la taille de la population totale, mais en fonction uniquement de la taille de l'échantillon. Ça sent le sondage soldé à plein nez cette histoire !

Mais où est passé la marge d'erreur ?
Cette marge d'erreur est bien la grande inconnue des sondages d'opinion, celle qui est écrite en police 8 sur les rapports des sondeurs, qui passe à la trappe dans les dépêches AFP, et qu'aucun journaliste ne prend la peine de rappeler (sauf France Inter ce matin qui l'a discrètement évoqué me semble-t-il). Et pourtant dans le cas de Xavier Darcos, donné proche des 50% au premier et au deuxième tour, elle serait assez utile.

Le problème avec la marge d'erreur, c'est qu'on ne peut pas la connaître. En réalité, il n'y a aucun moyen de calculer une marge d'erreur pour un sondage réalisé à partir de la méthode des quotas (sexe, age, profession, taille de la commune de résidence). On ne peut la calculer que si l'on utilise la méthode aléatoire (le tirage au sort des sondés). La méthode des quotas est utilisée pour permettre une réalisation plus rapide des sondages. Par exemple si un cadre supérieur de 40 ans vivant en milieu rural ne répond pas au téléphone, on peut lui substituer un autre cadre de 40 ans vivant en milieu rural. Avec la méthode aléatoire, on est obligé de harceler le "tiré au sort" jusqu'à ce qu'il réponde.

Les sondeurs ont donc pour convention d'appliquer les marges d'erreurs des sondages aléatoires à ceux réalisés avec la méthode des quotas notamment parce que empiriquement des enquêtes réalisées simultanément avec les deux méthodes ont montré des résultats... similaires. S'il vous fallait retenir deux chiffres pour vous y repérer, les marges d'erreurs sont au maximum de 3,2% pour un échantillon de 1000, 4,5% pour un échantillon de 500. Maximum car la marge d'erreur est plus grande si la population est distribuée en deux groupes égaux (la marge est donc plus élevé à 50/50 qu'à 98/2). Dernière chose à savoir, une marge d'erreur de 4,5% ne signifie pas qu'un 50% peut se transformer en 45,5% ou 54,5%. Cela signifie qu'il y a 95% de chances (95%, c'est l'intervalle de confiance le plus utilisé par les sondeurs) pour qu'une opinion donnée à 50% se situe entre 47,75% et 52,25%, et donc 5% pour qu'elle soit en dehors de la fourchette.

Quid pour Darcos ?
Finalement les gros titres des journaux de la fin de semaine ne veulent pas dire grand chose, et leurs contradictions à deux jours d'intervalle au gré des résultats donnés par les instituts de sondages ne fait que mettre en avant le peu de fiabilité d'un sondage qui donne 50/50. La seule chose sure, c'est que Xavier Darcos a au moins autant de chance de remporter l'élection que de la perdre, et on peut pas dire que cela fasse avancer le schmilblik. "100% des gagnants ont tenté leur chance" qu'ils disaient...

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jeudi 7 février 2008

Jedi's links [3]

Cette semaine, glané ça et là sur la toile :

Via le café pédagogique, Que peut apporter aux enseignants la pensée d'Edgar Morin ? par Jacques Nimier (PedagoPsy.eu)

De l'académie de Platon à la Star Academy, par Michèle Narvaez (Sens public). J'ai connu un Monsieur Narvaez il y a quelque temps, mais je ne sais pas s'il y a un lien avec l'auteure de cet article.

La flexibilité danoise n'est pas seulement la flexibilité des contrats de travail
, par Alain Lefebvre (Sociétés Nordiques)

Deux notes bien senties sur Ceteris Paribus :
Au nom du people français
Le crime du 4 février

Les jeunes n'aiment pas l'entreprise ? ou comment ceux qui le pensent sont aussi ceux qui prouvent le contraire... par Olivier Bouba-Olga

Il n'y aura pas de billets dans les quinze prochains jours, pour cause de vacances bien méritées. Alors pour en savoir plus sur ma destination :

L’Argentine ou les limites du système de gouvernance financière internationale, par Guislaine Guiran (Melchior)

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mardi 5 février 2008

Revalorisation nominale, revalorisation réelle

Il y trois types d'annonces gouvernementales (ou presido-gouvernementale dans la "Ve République post moderne") : celles qu'il faut annoncer avant une période électorale, celles qu'il faut annoncer après, et celles qu'il faut annoncer suffisamment tôt pour que le soufflé soit retombé avant. Le paquet fiscal et la réforme des régimes spéciaux faisaient partie de la troisième catégorie. Les annonces de revalorisation du minimum vieillesse et du salaire des fonctionnaires entrent dans la première. Et nous ne savons pas encore quelles seront celles qui entreront dans la seconde catégorie, les paris sont ouverts.

Aujourd'hui François Fillon et Eric Woerth annoncent respectivement une revalorisation du minimum vieillesse de 25% d'ici à 2012 et l'augmentation du traitement des fonctionnaires de 3,7% en 2008. Belles annonces, qui font plaisir aux personnes concernées, mais sont elles si belles qu'elles en ont l'air ?

Dérapage de l'inflation pour le dernier trimestre 2007
En moyenne l'inflation s'élève à 1,5% pour l'année qui vient de s'écouler. Cela reste raisonnable si l'on compare à l'inflation de la zone euro qui grimpe à 3%, et à l'objectif de la Banque Centrale Européenne qui s'est fixé comme limite 2%. Rappelons que la stabilité des prix est l'objectif numéro un de la banque centrale. Mais si l'on observe plus particulièrement le dernier trimestre 2007, on observe des taux qui vont de 2% à 2,6% en rythme annuel.

La technique pour bien déflater
Pour transformer une valeur nominale en valeur réelle, en clair pour prendre en compte l'effet de l'inflation, il faut rapporter l'indice des salaires ou du minimum vieillesse à celui des prix.

On ne sait pas quelle sera l'évolution de cet indice des prix pour 2008. La BCE tient la ligne qui est la sienne, à savoir maintenir des taux d'intérêts suffisamment élevés pour freiner la création monétaire (le crédit) et donc limiter l'inflation. Mais il n'y a pas que l'inflation par la création monétaire, il y a également l'inflation par la demande (si je n'obtiens pas de crédit, je peux toujours désepargner ce qu'il me reste pour maintenir un niveau de consommation voire l'augmenter) et l'inflation par les coûts (si le prix des matières premières et des consommations intermédiaires que j'importe augmentent je dois les répercuter sur les prix de mes produits). Et la BCE ne peut rien y faire, sauf à maintenir un euro fort avec pour conséquences des importations facilitées mais des produits qui perdent en compétitivité-prix vis-à-vis des produits payés en dollars.

Bref, faisons l'hypothèse (complètement infondée mais c'est pour l'exercice) d'une inflation autour de 2,5% (soit entre le taux constaté sur la dernière période dans la zone euro et l'objectif de la Banque Centrale Européenne) alimentée notamment par la hausse du prix du pétrole. Si je calcule la hausse réelle du traitement des fonctionnaires pour 2008 : 103,7/102,5 x 100=101,17. La hausse nominale était de 3,7%, la hausse réelle sera de 1,17% avec une hypothèse à 2,5% d'inflation. De la même manière, si l'on se projette dans 5 ans avec le même taux d'inflation annuel, j'atteindrai un taux de 13,1% (= 1,025 x 1,025 x 1,025 x 1,025 x 1,025). La hausse nominale du minimum vieillesse de 25% se transforme, toujours avec l'hypothèse d'un taux d'inflation annuel de 2,5%, en une hausse réelle de 10,5%.

John Maynard Keynes avait mis en avant le phénomène de l'illusion monétaire : les individus n'interpretent que les revenus nominaux (ce qu'il y a en bas de la fiche de paye) et non leurs revenus réels. Pour Milton Friedman, cette illusion ne joue qu'un certain temps : on se fait avoir une fois, pas deux. Ce qui signifie que nos anticipations s'adaptent avec le temps. Quoi qu'il en soit, entrainez-vous à raisonner en termes réels, et non nominaux !

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lundi 4 février 2008

L'économie communiste de marché

Retrouvé via Rezo.net, un papier signé Alain Supiot et paru dans Le Monde daté du 25 janvier 2008 que je n'avais pas vu passé. Je vous conseille la lecture de l'article dans sa version intégrale (en cliquant ici). Si vous êtes pressés, j'en reproduis ici les derniers paragraphes qui me semblent tout à fait intéressants.

Avec leur arrogance habituelle, les Occidentaux ont vu dans [la conversion de l'Europe de l'Est et de la Chine à l'économie de marché], et l'élargissement de l'Union qui en a résulté, la victoire finale de leur modèle de société, alors qu'ils ont donné le jour à ce que les dirigeants chinois appellent aujourd'hui "l'économie communiste de marché".

On aurait tort de ne pas prendre au sérieux cette notion d'allure baroque, car elle éclaire le cours pris par la globalisation. Edifié sur la base de ce que le capitalisme et le communisme avaient en commun (l'économisme et l'universalisme abstrait), ce système hybride emprunte au marché la compétition de tous contre tous, le libre-échange et la maximisation des utilités individuelles, et au communisme la "démocratie limitée", l'instrumentalisation du droit, l'obsession de la quantification et la déconnection totale du sort des dirigeants et des dirigés. Il offre aux classes dirigeantes la possibilité de s'enrichir de façon colossale (ce que ne permettait pas le communisme) tout en se désolidarisant du sort des classes moyennes et populaires (ce que ne permettait pas la démocratie politique ou sociale des Etats-providence). Une nouvelle nomenklatura, qui doit une bonne part de sa fortune soudaine à la privatisation des biens publics, use ainsi de la libéralisation des marchés pour s'exonérer du financement des systèmes de solidarité nationaux.

Cette "sécession des élites" (selon l'heureuse expression de Christopher Lasch) est conduite par un nouveau type de dirigeants (hauts fonctionnaires, anciens responsables communistes, militants maoïstes reconvertis dans les affaires) qui n'ont plus grand-chose à voir avec l'entrepreneur capitaliste traditionnel. Leur ligne de conduite a été exprimée il y a peu avec beaucoup de franchise et de clarté par l'un d'entre eux : il faut "défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance". En tête de ce programme figuraient "l'établissement de la démocratie la plus large (...), la liberté de la presse et son indépendance à l'égard des puissances d'argent, (...) l'instauration d'une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l'éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l'économie, (...) la reconstitution, dans ses libertés traditionnelles, d'un syndicalisme indépendant". Rien de tout cela n'est en effet compatible avec l'économie communiste de marché.

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