mercredi 1 août 2007

Le salaire minimum et l'Ecole du Public Choice

Il est des économistes qui ne croient plus en la bonté de l'Homme. Ou plus précisément, en l'homme politique. Ils se retrouvent, ces économistes, dans l'Ecole dit du Public Choice (ou "Choix public" pour ceux qui n'ont pas révisé leur anglais en lisant le dernier tome de Harry Potter). Que racontent-ils ces économistes ? Pour William D. Nordhaus, la conjoncture est fonction des actions politiques, actions menées par des hommes et des femmes qui ne sont pas moins rationnels que les autres. Conséquence : les hommes politiques nous disent qu'ils oeuvrent pour l'intérêt général, alors que leur rationalité les fait oeuvrer dans le sens de leur intérêt personnel, en l'occurence leur réélection. Voyons de quoi il retourne, en examinant les dernières nouvelles concernant le salaire minimum en France et aux Etats-Unis.


Monsieur N. Sarkozy l'a dit, "pas de coup de pouce au SMIC". Et il l'a fait : aujourd'hui un Smicard gagne à peine 1000€ net par mois, pour peu qu'il ait la chance d'avoir un emploi à temps complet. La progression est fixée au minimum légal de 2% par rapport à 2006. Pourtant M. Sarkozy s'était proclamé candidat du pouvoir d'achat pendant la campagne des Présidentielles. Oui mais voilà, le SMIC c'est pas bien puisque c'est une entrave à libre fixation du salaire sur le marché du travail. Et puis le "paquet fiscal" c'est tellement chouette que ça vaut bien une augmentation de salaire. Comment ça le "paquet fiscal" ne concerne quasiment pas les Smicards ? Ah zut... Bon, on s'en fout, on vient d'être élu, on a 5 ans devant nous pour contenter les Smicards. C'est très caricatural, mais c'est un peu comme ça que ça marche les théories du Public Choice. La politique, c'est un marché, où l'on échange des promesses contre des voix. Plus question de projet de société, mais une sorte de démocratie individualisée, de check-list qui permet de n'oublier personne, de contenter tout le monde et de récolter un maximum de voix : les retraités, les paysans, les industriels, les handicapés, les gars du batiment, les parisiens, les corses, les smicards, les autres... Tiens, les smicards ? Boaf, 2.5 millions de personnes, une catégorie de la population comme une autre.

Sur le marché politique, il n'y a pas que des relations entre hommes politiques et électeurs, il y a également des contrats entre politiques. "Vote pour mes paysans, je voterai pour tes industriels", c'est comme ça que le résume le très très libéral Cercle Bastiat (gauchistes, attention les mirettes !). Frédéric Bastiat, penseur, économiste et homme politique libéral du XIXe siècle, n'était autre que l'économiste préféré de Ronald Reagan. Revenons à nos moutons, l'accord entre hommes politiques de partis opposés sur des questions précises est particulièrement employé aux Etats-Unis où on le nomme "logrolling". Et c'est l'observation de cette pratique qui a conduit Tullock et Buchanan à faire une analogie entre la vie politique et la microéconomie : les acteurs sont rationnels et ils cherchent à maximiser la satisfaction de leurs intérêts individuels.

Le salaire minimum aux Etats-Unis, c'est différent. Le salaire minimum n'a rien à voir avec celui que nous connaissons. Il est quasiment l'apanage des moins de 25 ans, il concerne également plus de 2 millions de personnes (mais rappelons que la population américaine est 5 fois plus nombreuse que la population française). Pour autant le salaire minimum n'y est pas moins symbolique. Un entrefilet de la dernière Note de veille du CAS nous apprend, au risque de flanquer la migraine à notre Président, que le salaire minimum américain connaîtra une progression de 40% en deux ans ! Cela faisait 10 ans qu'il n'avait pas été revalorisé, il fallait plus qu'un coup de pouce. Eh oui, le Smic américain c'est le truc qu'on oublie toujours au fond du garage. Qu'on ressort tous les 10 ans. Il y avait quoi en 1997 déjà ? Ah oui, la réélection de Bill Clinton... Il y a quoi en 2009 ? Ah oui, les élections présidentielles américaines. George W. Bush ne pourra s'y présenter une troisième fois, mais tout est bon à prendre pour que la place encore chaude revienne à un copain Républicain. En se référant au récent article de Catherine Sauviat de l'IRES, on apprend que "cette mesure a été adoptée grâce à son inclusion par les Démocrates dans une vaste proposition de loi portant à 120 milliards de $ les dépenses supplémentaires prévues pour le maintien des troupes américaines en Irak et en Afghanistan, proposition soutenue par les Républicains et la Maison Blanche." Autrement dit, "vote pour mes smicards, et je voterai pour tes soldats".

Sources :
Buchanan James D., Tullock Gordon, The Calculus Of Consent, 1962
Nordhaus William D., The Political Business Cycle, 1970
Conseil d'Analyse Stratégique, Note de veille n°69, 30 juillet 2007
Sauviat Catherine, "Etats-Unis. La revalorisation du salaire minimum : une réalité après dix ans de gel", Chronique internationale de l'IRES, n°107, juillet 2007.

Aucun commentaire: