lundi 8 octobre 2007

Et pendant ce temps-là, chez nos amis d'outre-Quiévrain...

Belgique

Après le programme de l'option de seconde, petite plongée au coeur du programme de première, option science politique. Vous avez dit déformation professionnelle ? Ce programme commence par une partie sur les notions fondamentales en politique que sont le pouvoir et le droit, avec un arrêt plus précis sur l'Etat et la Nation. Ne pas confondre... J'ai décidé de regarder avec mes élèves ce qui se passent Outre-Quiévrain comme on dit. Le malheur des Belges fait le bonheur des profs de SES, ou quand deux nations provoquent la désagrégation d'un Etat.

La genèse de l'Etat
Un blog c'est fait pour aller vite, pour aller à l'essentiel : que les historiens me pardonnent. Norbert Elias, dans La Dynamique de l'Occident (1975) a mis en avant le fait que la création des Etats, en Europe, avait pour origine un double monopole détenu par le pouvoir central : le monopole militaire et policier (Max Weber aurait dit le monopole de la violence physique légitime) et le monopole fiscal. On comprend que le pouvoir central a besoin de la force pour lever l'impôt, et de cet impôt pour entretenir les forces, forces à leur tour nécessaires pour lever l'impôt. Les deux sont interdépendants. Le monopole fiscal a également eu pour conséquence de permettre aux souverains de ne plus remercier leurs fidèles alliés en leur donnant des terres, mais en les rétribuant en argent, stabilisant de par là même le territoire possédé.

Quid de la nation
La nation, c'est autre chose. Et ce n'est pas toujours très clairs dans les têtes de nos élèves. Les représentations naissent du fait que le sens commun utilise souvent un mot pour un autre : pays, état, nation, état-nation, on ne sait plus vraiment où on en est... La nation, pour Ernest Renan, c'est une âme, un principe spirituel (...), une grande agrégation d'hommes, saine d'esprit et chaude de coeur. Oui mais pas que. Car cette nation là peut encore revêtir plusieurs formes, deux principalement.

1. La nation peut être une nation "ethnique". Dans ce cas là, c'est le droit du sang qui primera, renforcé par la culture commune et la langue commune, acquise dès la naissance. La nation est ici à la source d'un lien quasipsychologique de l'individu au groupe, presque une filiation. Souvent les nationalismes se sont appuyés sur cette conception pour constuire leurs doctrines.

2. Ou bien elle est encore une nation "élective" (et c'est celle-ci qui était évoquée par Renan) : ce concept est celui qui fonde la citoyenneté, le lien politique (voire républicain), l'envie de vivre ensemble, quelque soit les différences particulières. Une plus grande place est faite au droit du sol. C'est une conception de la nation plus ouverte que la précédente, qui permet notamment à des étrangers de choisir une nationalité s'ils acceptent le projet politique commun à leur nation d'adoption. Prenons le temps de citer Dominique Schnapper :
Toute nation démocratique se caractérise par son projet de transcender par la citoyenneté toutes les formes d'appartenance particulières, qu'elles soient biologiques, ethniques, historiques, économiques, sociales, religieuses ou culturelles. Une nation démocratique est, par définition, multiculturelle, elle réunit des populations diverses par leurs origines régionales (Bretons, Corses, Lorrains...), leurs origines nationales (immigrés, fils ou petit-fils d'immigrés...), sociales (ouvriers, techniciens, fonctionnaires, riches et pauvres...), ou religieuses (catholiques, protestants, juifs, musulmans, agnostiques ou athées...). Elle se propose de les intégrer par la citoyenneté en dépassant ces diversités, en transcendant tous ces particularismes.
D. Schnapper, La conception de la nationalité, Cahiers Français

Où en sont les Belges ?
Maintenant qu'on y voit mieux, peut-on savoir où en sont précisément nos amis les Belges ? L'Etat belge est le fruit d'un processus historique, comme tous les Etats. La nation belge devrait l'être tout autant, mais la question se pose de savoir si cette nation belge a déjà existé. Si la Belgique est bien une nation au sens moderne du terme (c'est une collectivité humaine organisée sur un territoire donné et autour d'un Etat), elle n'est pas parvenue à créer le sentiment d'appartenance, sentiment produit par l'histoire et un projet politique commun. En 1912, Jules Destrée écrivait déjà dans une Lettre au roi "Il n'y a pas de Belges". Des cultures différentes entre Wallon et Flammands (langue, religion, voire même inclinaison politique) et des projets politiques différenciés (autonomie culturelle pour les Flammands, fédéralisme économique pour les Wallons), tout pousse à croire, surtout au vu des évènements actuels, que le projet d'une Belgique unie était déjà tué dans l'oeuf.

Sur la blogosphère : Jean Quatremer ne parle (presque) que de ça

1 commentaire:

Denis Colombi a dit…

Tu as une première ? Trop la classe.