mardi 25 septembre 2007

L'aristocratie patrimoniale : une nouvelle classe sociale ? (2)


Middle class
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Dans Les classes moyennes à la dérive, Louis Chauvel dresse un portrait peu reluisant de l'avenir qui s'offre à nous, les gens du milieu. Sombrer dans le déclassement social, ou survivre dans l'aristocratie patrimoniale... drôle de choix.


La semaine dernière je revenais sur les différentes conceptions sociologiques des classes sociales. Je terminais mon billet en empruntant la méthode décrite par Louis Chauvel dans Le retour des classes sociales [2001] :
On parlera de classes sociales pour des catégories :
1) inégalement situées — et dotées — dans le système productif ;
2) marquées par une forte identité de classe, dont trois modalités peuvent être spécifiées :
— l’identité temporelle (2a), c’est-à-dire la permanence de la catégorie, l’imperméabilité à la mobilité intra- et intergénérationnelle, l’absence de porosité aux échanges matrimoniaux avec les autres catégories (homogamie) ;
— l’identité culturelle (2b), c’est-à-dire le partage de références symboliques spécifiques, de modes de vie et de façons de faire permettant une inter-reconnaissance ;
— l’identité collective (2c) à savoir une capacité à agir collectivement, de façon conflictuelle, dans la sphère politique afin de faire reconnaître l’unité de la classe et ses intérêts.


Le même Louis Chauvel dans son dernier ouvrage, revient sur l’existence et la survie des classes moyennes en France. Analyse forte intéressante dans un livre à la fois court, abordable, précis, percutant mais démoralisant (autant prévenir tout de suite), je ne peux que vous conseiller de lire la centaine de pages qu’il représente. Si vous manquez de temps, pensez liens-socio, vous y trouverez forcément une fiche de lecture. De son étude il ressort que les classes moyennes semblent au bord du gouffre et que, au vu des choix politiques qui sont ceux de la France depuis les dernières échéances électorales, leur salut ne repose que sur la capacité de la génération des babyboomers à léguer quelque patrimoine à leur descendance (j’extrapole un peu, puisque le livre est sorti à l’automne 2006, donc avant les présidentielles).

Maman, donne moi mon sédatif !
Page 77, le sociologue qualifie de « sédatif » l’aide intergénérationnelle des parents vers les nouvelles générations. En effet, devant la raréfaction des postes stables, l’inflation scolaire, les difficultés d’accès au logement, la domination d’un système « up or out » (tu monte ou tu sors, tout échec dans ta carrière sera fatal), la survie des enfants de la classe moyenne dépend du capital social des parents, de leurs relations. Et « sans le sédatif que représente l’aide substantielle que de nombreux parents attribuent de façon presque automatique à leurs enfants, la souffrance d’une partie des nouvelles générations n’aurait pu passer inaperçue ».

Ceux qui privilégient le loisir au travail (au sens où ils aspirent à travailler ce qu’il faut pour pouvoir s’épanouir ailleurs que dans le travail, pas au sens de rester le cul sur sa chaise tout seul chez soi) sont socialement en danger de déclassement. Car pour accroître son réseau social, et s’assurer ainsi de surfer sur la bonne vague, mieux vaut travailler 90 heures par semaine que 35 ou même les 48h légales… Travailler beaucoup plus, pour être sûr de ne pas dégringoler dans la hiérarchie sociale : Nicolas Sarkozy avait raison, mais en même temps c’était facile, il a contribué lui-même à ce que cet état de fait advienne. On appelle ça une prophétie autoréalisatrice.

On pourrait se réjouir, finalement, que la générosité familiale soit parvenue à « maintenir l’édifice social » jusqu’à aujourd’hui. Oui mais voilà, « l’argent va à l’argent » comme le rappelle si bien Louis Chauvel, et il vaut mieux être fils d’une famille qui-n’en-a et qui-n’en-veut. « Ceux qui reçoivent le plus sont les enfants issus de familles mieux situées et accédant eux-mêmes aux meilleures positions sociales ». Se pose donc la question de la méritocratie, car on voit mal une mère de famille qui-n’en-a dire à son fiston : « non mon chéri, ce mois-ci je donne ton petit pécule à ton ami qui n’a pas la chance que tu as, à savoir des parents derrière lui pour l’aider dans la vie ». Caricatural ? Bon d’accord, peut-être un peu… Mais Louis Chauvel lui, enfonce le clou :
« La solidarité familiale a certes permis à ceux qui en bénéficient d’amortir des chocs dont la violence aurait été sinon d’une autre visibilité, mais avec quelles conséquences ? D’une part les entreprises ont fini par s’habituer à faire travailler les jeunes pour presque rien, grâce aux généreuses subventions des familles. D’autre part, en agissant comme un analgésique puissant, cette solution a fait oublier le mal qui empire. »


Hors de la pierre, point de salut.
Le problème supplémentaire et fatal dans une société comme celle-ci, c’est qu’on s’expose à un risque de « repatrimonialisation de l’accès au classe moyenne ». En plus du capital social des parents, il semblerait que la réussite soit de plus en plus conditionnée par le capital économique qu’ils ont pu accumuler. On perçoit là le caractère profondément injuste d’une société qui reposerait avant tout sur l’inégalité des chances dès la naissance. Il est loin pour la jeune génération le rêve, rêve qu’avaient largement embrassé leurs parents, d’avoir un travail intégrateur pourvoyeur d’autonomie et de stabilité sociale.

Le risque est donc de voir les différentes composantes des classes moyennes sombrer majoritairement vers les classes populaires, pendant qu’une fraction dominante culturellement ET économiquement parviendra à sauver ses enfants du déclassement social. Cette classe, ou ce projet de classe, Louis Chauvel l’appelle l’aristocratie patrimoniale. Et je ne sais pas ce que vous en pensez, mais quand on entend parler de bouclier fiscal, de déductibilité des intérêts d’emprunt, allégement des droits de succession, détaxation des donations sans oublier l’exonération des salaires étudiants, on peut se dire que cette aristocratie a sûrement de beaux jours devant elle…

Sources :
Louis Chauvel, Les classes moyennes à la dérive, Seuil, 2006.


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