Les basketteurs américains victimes de l'effet Tocqueville
...Ou quand les coupables parviennent à se faire passer pour des victimes.
Un article étonnant est paru le 8 janvier dans le quotidien Le Monde, à propos des basketteurs américains. La psychose gagne du terrain dans l'esprit des sportifs à mesure que les agressions dont ils sont victimes deviennent de plus en plus fréquentes. Comment peut-on expliquer et tenter de comprendre ce qui amène des citoyens américains à s'en prendre à leurs idoles ?
Sur la longue période, les écarts de revenus n'ont eu de cesse de diminuer. Or depuis quelques années, cet écart stagne. En France, le rapport interdécile - qui mesure les inégalités de revenus en rapportant le revenu le plus faible des 10% les mieux payés au revenu le plus élevé des 10% les plus pauvres - scotche entre 3,5 et 3,2 depuis maintenant une vingtaine d'années. Il faut comprendre que le revenus le plus faible des plus riches représente 3,2 fois le revenu le plus élevé des plus pauvres. Si vous voulez aller plus loin dans le rapport interdécile, allez faire un tour ici puis ensuite là.
Lorsque les inégalités étaient incommensurables (entre un gueu et son roi, Louis VI le Gros, en l'an de grace 1123 par exemple), elles n'étaient pas forcément moins vivables, car la société n'était pas démocratique, ne pronait ni l'égalité des droits, ni celles des chances, encore moins celles des conditions. Le gueu se satisfaisait de sa condition puisque le bon Dieu l'avait voulu ainsi, c'était déjà bien aimable de la part de son suzerain de bien vouloir l'abriter dans sa basse-cour quand les voisins débarquaient dans la campagne.
La frustration relative
Aujourd'hui il en est autrement. Et bizarrement Alexis de Tocqueville avait prédit dès 1835 ce qui arrive aujourd'hui à nos stars des parquets américains. En effet, dans un cadre démocratique où les hommes sont sensés être semblables (un homme = une voix), les inégalités résiduelles sont insupportables. Ainsi on peut lire dans De la démocratie en Amérique :
L'égalité, plus on en a, plus on en veut. Or en 2006, parmi les 30 sportifs les mieux rémunérés au monde, 9 sont basketteurs, à plusieurs dizaines de milliers d’euros... par jours. Les basketteurs américains les mieux payés gagnent en une année l'équivalent d'un siècle de mon salaire actuel. Cela signifie que chaque jour ils touchent 3 à 4 années de mon salaire (ou du votre si vous vous situez aux alentours du salaire médian) ! Si ça c'est pas de "l'inégalité résiduelle". Pas étonnant que dans leur passion pour l'égalité, les citoyens américains que Tocqueville avait observé il y a deux siècles, finissent par s'en prendre à leurs joueurs de basket, de baseball, ou de football américain. Ah, il est loin le bon vieux temps, quand Larry Bird était MVP, et qu'il touchait 1 pauvre petit million de $ (c'était l'année de ma naissance !). Alors en prime, une petite image de collection (trouvée sur Flickr, évidemment).
Bientôt la suite : pourquoi les salaires de ces basketteurs sont socialement injustes.
Sources :
Pascal Giberné, La psychose des basketteurs de NBA, cibles d'agressions, Le Monde daté du 8 janvier 2008.
Eric Keslassy, Démocratie et égalité, Bréal, 2003.
Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1830-1835.
Un article étonnant est paru le 8 janvier dans le quotidien Le Monde, à propos des basketteurs américains. La psychose gagne du terrain dans l'esprit des sportifs à mesure que les agressions dont ils sont victimes deviennent de plus en plus fréquentes. Comment peut-on expliquer et tenter de comprendre ce qui amène des citoyens américains à s'en prendre à leurs idoles ?
Sur la longue période, les écarts de revenus n'ont eu de cesse de diminuer. Or depuis quelques années, cet écart stagne. En France, le rapport interdécile - qui mesure les inégalités de revenus en rapportant le revenu le plus faible des 10% les mieux payés au revenu le plus élevé des 10% les plus pauvres - scotche entre 3,5 et 3,2 depuis maintenant une vingtaine d'années. Il faut comprendre que le revenus le plus faible des plus riches représente 3,2 fois le revenu le plus élevé des plus pauvres. Si vous voulez aller plus loin dans le rapport interdécile, allez faire un tour ici puis ensuite là.
Lorsque les inégalités étaient incommensurables (entre un gueu et son roi, Louis VI le Gros, en l'an de grace 1123 par exemple), elles n'étaient pas forcément moins vivables, car la société n'était pas démocratique, ne pronait ni l'égalité des droits, ni celles des chances, encore moins celles des conditions. Le gueu se satisfaisait de sa condition puisque le bon Dieu l'avait voulu ainsi, c'était déjà bien aimable de la part de son suzerain de bien vouloir l'abriter dans sa basse-cour quand les voisins débarquaient dans la campagne.
La frustration relative
Aujourd'hui il en est autrement. Et bizarrement Alexis de Tocqueville avait prédit dès 1835 ce qui arrive aujourd'hui à nos stars des parquets américains. En effet, dans un cadre démocratique où les hommes sont sensés être semblables (un homme = une voix), les inégalités résiduelles sont insupportables. Ainsi on peut lire dans De la démocratie en Amérique :
Lorsque l’inégalité des conditions est la loi commune de la société, les inégalités les plus marquées ne frappent pas le regard ; mais quand tout est presque au même niveau, les plus légères sont assez marquées pour le blesser. Il en ressort que le désir d’égalité devient plus insatiable à mesure que l’égalité est plus complète.
L'égalité, plus on en a, plus on en veut. Or en 2006, parmi les 30 sportifs les mieux rémunérés au monde, 9 sont basketteurs, à plusieurs dizaines de milliers d’euros... par jours. Les basketteurs américains les mieux payés gagnent en une année l'équivalent d'un siècle de mon salaire actuel. Cela signifie que chaque jour ils touchent 3 à 4 années de mon salaire (ou du votre si vous vous situez aux alentours du salaire médian) ! Si ça c'est pas de "l'inégalité résiduelle". Pas étonnant que dans leur passion pour l'égalité, les citoyens américains que Tocqueville avait observé il y a deux siècles, finissent par s'en prendre à leurs joueurs de basket, de baseball, ou de football américain. Ah, il est loin le bon vieux temps, quand Larry Bird était MVP, et qu'il touchait 1 pauvre petit million de $ (c'était l'année de ma naissance !). Alors en prime, une petite image de collection (trouvée sur Flickr, évidemment).
Bientôt la suite : pourquoi les salaires de ces basketteurs sont socialement injustes.
Sources :
Pascal Giberné, La psychose des basketteurs de NBA, cibles d'agressions, Le Monde daté du 8 janvier 2008.
Eric Keslassy, Démocratie et égalité, Bréal, 2003.
Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1830-1835.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire