jeudi 25 octobre 2007

Comprendre : la non lecture de la lettre de Guy Moquet

Lettre de Guy Moquet à ses parents

C'est retombé comme un soufflet, le Grenelle de l'environnement est passé par là mercredi, les annonces de Xavier Bertrand mardi... Et l'agenda politico-médiatique va vite, très vite, il passe d'une info à une autre, et à mon avis on n'est pas prêt d'entendre parler à nouveau de Guy Moquet. Bien sur, les JT de lundi soir sont revenus quelques minutes sur l'émotion suscitée par la lecture de la lettre dans les lycées, et puis quelques secondes sur le non déplacement de Nicolas Sarkozy dans le lycée Carnot où le jeune résistant communiste avait suivi sa scolarité. Mais finalement, avec la couverture médiatique pourtant conséquente lundi sur le sujet, on n'aura pas vraiment compris pourquoi ils n'ont pas voulu lire la lettre...

Des milliers de profs d'Histoire Géo ont signé des textes dans lesquels ils expliquaient pourquoi ils refuseraient de lire la lettre. Pourquoi il ne fallait pas confondre "devoir de mémoire" et "droit d'histoire". Pourquoi l'Ecole ne doit plus être pensée comme l'outil d'unification de la nation qu'elle était sous la IIIe République. Bien sûr les professeurs du service public d'éducation ont des missions claires : transmettre les valeurs de la République et notamment l'idéal laïque, qui exclut toute discrimination de sexe, de culture ou de religion, instruire les jeunes, contribuer à leur éducation, les former en vue de leur insertion sociale et professionnelle.

Mais ils ne sont plus là pour jouer les "instituteurs nationaux" (selon l'expression de Pierre Nora). Le temps du petit Lavisse et du Tour du Monde par deux enfants est révolu. L'école est là pour former des citoyens, capables d'esprit critique, capables de prendre les décisions importantes de leur vie en connaissance de cause, en connaissance de la réalité de notre société. On exerce l'esprit critique des jeunes non pas en sélectionnant ce qu'il y a de meilleur dans notre mémoire, mais en cherchant à se rapprocher de la vérité historique, sans mettre en avant les périodes les plus glorieuses, sans occulter les heures sombres.

Pour comprendre, il est bon de lire et relire ce texte de 2000 : "Histoire et Mémoire". Il est issu d'une conférence prononcée par Laurent Wirth, Inspecteur Général de l'Education Nationale et ancien professeur d'Histoire-Géographie. Je vous en livre ici quelques extraits significatifs.

Ce retour en force de la mémoire est caractérisé par son lien consubstantiel avec le présent au point de faire les titres de la presse. Les débats sur Vichy, notamment au moment du procès Papon et ceux sur la torture en Algérie sont des exemples frappants d'un véritable télescopage entre la mémoire et l'actualité, dans lequel les médias, les politiques et la justice prennent le pas sur les historiens, même si ceux-ci peuvent être convoqués comme experts. L'inscription dans l'actualité tend à l'emporter sur le regard de l'historien qui passe au second plan.

Les nouveaux modes de commémoration confirment que le présent prend le pas sur le passé : l'aspect festif et médiatique que prend la commémoration ( par exemple à l'occasion la célébration du bicentenaire de la Révolution) est significatif. On ne commémore tant aujourd'hui le passé que pour mieux célébrer ou condamner le présent.

Inscrite dans le présent, cette mémoire est le patrimoine de groupes vivants. De ce fait, comme l'a dit, dès les années trente, le sociologue Halbwachs qui est mort en déportation à Buchenwald, il y a autant de mémoires que de groupes. Elle est donc par nature plurielle. L'évolution des modes de commémoration est également significative de ce point de vue : la commémoration traditionnelle supposait un ordre et une hiérarchie qui descendait des sommets de l'Etat jusqu'aux écoliers rassemblés autour des monuments et sur les places publiques. Actuellement la commémoration sourd, au contraire, des profondeurs de la société, elle émane plutôt de groupes de solidarité et tend à déserter le national pour s'enraciner dans le local.

Enfin la mémoire est également, par nature, affective et sélective et faillible : elle a tendance à ne retenir que ce qui la conforte. Dans les débats sur la torture en Algérie, certaines associations répondent indignées, en mettant en avant leur propre mémoire fondée sur des atrocités commises par le FLN contre des civils et contre les Harkis. Cela peut déboucher sur un affrontement de mémoires antagonistes.

Ces mémoires éclatées, sélectives, souvent contraires, ne sont pas, on le voit bien, synonyme d'histoire.


Je rappelle que le texte ci-dessus n'a pas été écrit en réaction à la demande présidentielle de lecture de la lettre de Guy Moquet dans les lycées, puisqu'il date de 2000. Mais il est intéressant de constater comment, d'une certaine manière, l'évènement de lundi peut être interprété comme un retour en arrière dans la façon de célébrer la mémoire nationale, du haut de l'Etat vers le bas. Ou quand "la rupture" prend la forme du demi-tour...

L'opposition des professeurs n'était donc pas tant politique, comme on a voulu le montrer sur certaines chaines, que scientifique et éthique. Or la première compétence attendue chez les nouveaux professeurs actuellement en formation n'est autre que : agir en fonctionnaire de l'Etat, de manière éthique et responsable.

Liens :
Discours de N. Sarkozy au bois de Boulogne, le 16 mai 2007
Laurent Wirth, "Histoire et Mémoire", conférence de novembre 2000
"Agir en fonctionnaire de l'Etat et de manière éthique et responsable", BO du 4 janvier 2007, pp. 12-13
"Les missions du professeur", circulaire 97-123 du 23 mai 1997


3 commentaires:

Denis Colombi a dit…

Y'a pas à dire, ce genre de note, ça fait du bien...

(bon, moi j'avais pas cours au moment de la fameuse lecture, mais je l'aurais pas lu de toute façon).

Anonyme a dit…

Pourquoi un président de droite demande t-il à ce que nous fassions l'éloge d'un jeune communiste arrêté pour avoir collé des tractes communistes et appelant à la destruction du capitalisme pour instaurer le capitalisme?!!

Pas tout compris...

Il semblerait que Monsieur le Président de la République Française ait compris son erreur. En conséquence pour ne pas paraître trop idiot il persite en mettant en place une journée consacrée à la mémoire des jeunes résistants (communistes ?)

Anonyme a dit…

Vous aurez compris (1er paragraphe) : "...pour instaurer le communisme"