Enseignant : l'entrée dans le métier
Une fois n'est pas coutume (sur ce blog, sinon le sujet est en passe de devenir un vrai "marronnier" [1]), attardons nous quelques instants sur la rentée des classes du côté des enseignants. Je ne résiste pas à l'envie de vous faire partager ce petit papier écrit par Gilles Lazuech et Pascal Guibert (maîtres de conférence à l'Université de Nantes en sociologie et en science de l'éducation). Il vient de faire l'objet d'une communication au congrès international Actualité de la recherche en Education et en Formation qui se tient depuis mardi à Strasbourg. Et il est fort intéressant, en particulier pour les jeunes qui, comme moi, entament leur carrière de prof.
Il s'agit d'un suivi de cohorte réalisé de 1998 à 2003 sur une population initiale de 550 individus. Les deux chercheurs sont parvenus à mettre en évidence deux modes d'accès au métier chez les enseignants débutants, modes d'accès fortement influencés par les caractéristiques scolaires et sociales des individus. A partir de là, deux groupes peuvent se distinguer, que les auteurs de l'étude nomment les "héritiers" et les "oblats". Si le terme d'héritiers renvoie directement à la sociologie de P. Bourdieu (et renvoie donc à un concept parfaitement intelligible), celui d'oblat mérite d'être explicité. Oblat vient du terme latin oblatus, signifiant "qui est offert". Depuis longtemps inscrit dans le vocabulaire monastique, il permet de désigner une catégorie particulière de religieux. Un petit tour dans Universalis nous apprend que l'oblat était "celui qui, dans une communauté religieuse, n'avait pas fait de vœux et possédait un statut à part : il ne participait pas aux élections aux charges, mais pouvait porter l'habit. Pratiquement, il s'agissait souvent de personnes n'ayant pas les capacités physiques ou mentales requises des religieux à part entière". Je ne sais pas si les auteurs se sont contentés du sens latin, ou bien ont voulu aller plus loin dans l'analogie entre les véritables oblats et une catégorie d'enseignants se limitant à jouer le rôle social d'enseignant sans en avoir toutes les clés. Toujours est-il que ceux qui réussissent le mieux leur entrée dans le métier ne sont pas forcément ceux que l'on croit.
Les "héritiers" sont majoritairement issus des fractions supérieures des classes moyennes, des hommes, enseignant dans "les disciplines les plus attachées au modèle de l’excellence scolaire à la française (la Philosophie, les Lettres, l’Histoire,…)". Amour de la discipline, études universitaires parfois longues, bons élèves tout au long de leur scolarité, telles sont leurs caractéristiques. Les "oblats" sont quant à eux majoritairement issus des classes populaires et classes moyennes basses. "Ils considèrent qu’ils sont redevables de l’école et sont prêts à « rendre » dans une logique maussienne du don contre-don". Ils vivent leur métier comme une promotion sociale et tirent une satisfaction plus importante que les héritiers de la réalité des situations d'enseignements. Alors que les héritiers peuvent être déçus du fait que le côté relationnel du métier de prof prenne le pas sur la transmission du savoir en tant que tel, c'est précisément pour cette même raison que les oblats connaissent une insertion professionnelle plus aisée. "L’esprit de mission qui les caractérise, s’actualise de façon assez heureuse dans un rapport aux élèves dans lequel la dimension relationnelle est jugée importante dans la relation pédagogique".
Cet état de fait n'est pas immuable selon les auteurs puisque, et c'est là l'avantage de l'étude longitudinale, ils parviennent à mettre en avant comment la situation, le vécu des premières années d'enseignement, influe sur le parcours d'insertion suivi par les enseignants débutant lors des premières années de leurs carrières. Ils dégagent alors quatre parcours différents. "Etre de passage", "jouer les bouche-trous", c'est souvent le ressenti des TZR, Titulaires en Zone de Remplacement. Ils n'ont pas de classe à l'année, et vive mal le fait d'être payé à rien faire, notamment du fait que les autres enseignants ne se privent pas pour leur faire des remarques. Je ne peux que vous renvoyer au blog du prof-à-la-dérive, et notamment à cette note là et celle-ci. Plus scientifique, Xavière Lanéelle est intervenue dans le même congrès AREF sur la prise de parole des enseignants titulaires remplaçants. "Tenir par le relationnel", deuxième parcours, celui de ceux qui sont envoyés au charbon dans un environnement "hostile" (dixit X. Darcos). La difficulté renforce les liens entre les jeunes profs, et avec des profs plus expérimentés également. "La conversion inachevée" est ce que vivent les profs qui ne parviennent pas à réduire le décalage entre "entre leur conception de l’activité d’enseignement et ce qu’ils vivent sur le terrain". Il s'agit souvent de ceux qui ont choisi cette voie par "amour de la discipline", ou par vocation, et qui ne peuvent lutter contre la persistance de leur représentation du métier. Enfin il y a "les installés". Ouf, ceux là parviennent à adapter leur conception du métier à la réalité de la pratique, mais cet ajustement n'est rendu possible que par des conditions optimales : satisfaction quant à l'implantation géographique du poste occupé, pas d'isolement relationnel, titularisation dans un établissement qui permet de créer des liens, etc. Cette dernière catégorie représente dans la cohorte des enquêtés près d'un tiers des individus.
L'existence de ce genre d'enquête est vraiment très importante. Le simple fait d'être conscient de ces réalités pourrait permettre à bien des débutants d'éviter la déprime, le blues du début de carrière, le sentiment d'isolement dans le métier. Ensuite il apparaît comme indispensable d'améliorer la préparation des jeunes profs, de faire tomber leur propres représentations de la pratique enseignante avant même qu'ils ne s'attachent à transformer celles de leurs élèves. Les concours, centrés sur la maîtrise des disciplines, permettent de recruter de bons spécialistes certes, mais qui peuvent s'avérer complètement déconnectés des réalités de l'enseignement. Au contraire, ils ne permettent pas de sauver celui qui est fait pour le métier de prof, mais qui devra combler ses lacunes disciplinaires sur le tas.
Sources :
Guibert Pascal et Lazuech Gilles, Parcours d'insertion professionnelle des enseignants du secondaire, Communication au congrès AREF 2007, Strasbourg, août 2007
[1] Marronnier : Tout sujet récurrent qui fournit à intervalle régulier une info inintéressante au possible, mais vraiment pas épuisante à glaner (la rentrée des classes, le baccalauréat, les embouteillages du week-end, les « plages » en ville, les sports d’hiver, les universités d’été des partis politiques) ; votre premier emploi dans un organe de presse consistera souvent à secouer le marronnier. (définition trouvée sur Oulala.net)
Crédit Photo : Susiejulie sur FlickR
Il s'agit d'un suivi de cohorte réalisé de 1998 à 2003 sur une population initiale de 550 individus. Les deux chercheurs sont parvenus à mettre en évidence deux modes d'accès au métier chez les enseignants débutants, modes d'accès fortement influencés par les caractéristiques scolaires et sociales des individus. A partir de là, deux groupes peuvent se distinguer, que les auteurs de l'étude nomment les "héritiers" et les "oblats". Si le terme d'héritiers renvoie directement à la sociologie de P. Bourdieu (et renvoie donc à un concept parfaitement intelligible), celui d'oblat mérite d'être explicité. Oblat vient du terme latin oblatus, signifiant "qui est offert". Depuis longtemps inscrit dans le vocabulaire monastique, il permet de désigner une catégorie particulière de religieux. Un petit tour dans Universalis nous apprend que l'oblat était "celui qui, dans une communauté religieuse, n'avait pas fait de vœux et possédait un statut à part : il ne participait pas aux élections aux charges, mais pouvait porter l'habit. Pratiquement, il s'agissait souvent de personnes n'ayant pas les capacités physiques ou mentales requises des religieux à part entière". Je ne sais pas si les auteurs se sont contentés du sens latin, ou bien ont voulu aller plus loin dans l'analogie entre les véritables oblats et une catégorie d'enseignants se limitant à jouer le rôle social d'enseignant sans en avoir toutes les clés. Toujours est-il que ceux qui réussissent le mieux leur entrée dans le métier ne sont pas forcément ceux que l'on croit.
Les "héritiers" sont majoritairement issus des fractions supérieures des classes moyennes, des hommes, enseignant dans "les disciplines les plus attachées au modèle de l’excellence scolaire à la française (la Philosophie, les Lettres, l’Histoire,…)". Amour de la discipline, études universitaires parfois longues, bons élèves tout au long de leur scolarité, telles sont leurs caractéristiques. Les "oblats" sont quant à eux majoritairement issus des classes populaires et classes moyennes basses. "Ils considèrent qu’ils sont redevables de l’école et sont prêts à « rendre » dans une logique maussienne du don contre-don". Ils vivent leur métier comme une promotion sociale et tirent une satisfaction plus importante que les héritiers de la réalité des situations d'enseignements. Alors que les héritiers peuvent être déçus du fait que le côté relationnel du métier de prof prenne le pas sur la transmission du savoir en tant que tel, c'est précisément pour cette même raison que les oblats connaissent une insertion professionnelle plus aisée. "L’esprit de mission qui les caractérise, s’actualise de façon assez heureuse dans un rapport aux élèves dans lequel la dimension relationnelle est jugée importante dans la relation pédagogique".
Cet état de fait n'est pas immuable selon les auteurs puisque, et c'est là l'avantage de l'étude longitudinale, ils parviennent à mettre en avant comment la situation, le vécu des premières années d'enseignement, influe sur le parcours d'insertion suivi par les enseignants débutant lors des premières années de leurs carrières. Ils dégagent alors quatre parcours différents. "Etre de passage", "jouer les bouche-trous", c'est souvent le ressenti des TZR, Titulaires en Zone de Remplacement. Ils n'ont pas de classe à l'année, et vive mal le fait d'être payé à rien faire, notamment du fait que les autres enseignants ne se privent pas pour leur faire des remarques. Je ne peux que vous renvoyer au blog du prof-à-la-dérive, et notamment à cette note là et celle-ci. Plus scientifique, Xavière Lanéelle est intervenue dans le même congrès AREF sur la prise de parole des enseignants titulaires remplaçants. "Tenir par le relationnel", deuxième parcours, celui de ceux qui sont envoyés au charbon dans un environnement "hostile" (dixit X. Darcos). La difficulté renforce les liens entre les jeunes profs, et avec des profs plus expérimentés également. "La conversion inachevée" est ce que vivent les profs qui ne parviennent pas à réduire le décalage entre "entre leur conception de l’activité d’enseignement et ce qu’ils vivent sur le terrain". Il s'agit souvent de ceux qui ont choisi cette voie par "amour de la discipline", ou par vocation, et qui ne peuvent lutter contre la persistance de leur représentation du métier. Enfin il y a "les installés". Ouf, ceux là parviennent à adapter leur conception du métier à la réalité de la pratique, mais cet ajustement n'est rendu possible que par des conditions optimales : satisfaction quant à l'implantation géographique du poste occupé, pas d'isolement relationnel, titularisation dans un établissement qui permet de créer des liens, etc. Cette dernière catégorie représente dans la cohorte des enquêtés près d'un tiers des individus.
L'existence de ce genre d'enquête est vraiment très importante. Le simple fait d'être conscient de ces réalités pourrait permettre à bien des débutants d'éviter la déprime, le blues du début de carrière, le sentiment d'isolement dans le métier. Ensuite il apparaît comme indispensable d'améliorer la préparation des jeunes profs, de faire tomber leur propres représentations de la pratique enseignante avant même qu'ils ne s'attachent à transformer celles de leurs élèves. Les concours, centrés sur la maîtrise des disciplines, permettent de recruter de bons spécialistes certes, mais qui peuvent s'avérer complètement déconnectés des réalités de l'enseignement. Au contraire, ils ne permettent pas de sauver celui qui est fait pour le métier de prof, mais qui devra combler ses lacunes disciplinaires sur le tas.
Sources :
Guibert Pascal et Lazuech Gilles, Parcours d'insertion professionnelle des enseignants du secondaire, Communication au congrès AREF 2007, Strasbourg, août 2007
[1] Marronnier : Tout sujet récurrent qui fournit à intervalle régulier une info inintéressante au possible, mais vraiment pas épuisante à glaner (la rentrée des classes, le baccalauréat, les embouteillages du week-end, les « plages » en ville, les sports d’hiver, les universités d’été des partis politiques) ; votre premier emploi dans un organe de presse consistera souvent à secouer le marronnier. (définition trouvée sur Oulala.net)
Crédit Photo : Susiejulie sur FlickR
4 commentaires:
et ta rentrée à toi donc??
Premier contact avec mes élèves prévu le vendredi 7 septembre. Je reviens du lycée, je refais l'aller-retour vendredi pour 2h de cours. J'aurai donc parcouru plus de 1000km en 5 jours, ça me donne la teneur des semaines à venir. Pour l'instant, je suis sous le charme de mon nouveau lycée, exceptionnel à plus d'un titre. Les collègues sont sympas. Ca va le faire !
Juste en passant : je crois que "oblats" est un terme qu'utilise aussi Bourdieu, mais à propos des partis politiques. Je me souviens plus exactement ce(ux) qu'il désigne alors.
J'espère que la rentrée se passe bien !
Je suis tombé par hasard sur ton article, et j'ai constaté que tu avais parlé de moi ;-)
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