C'est Noël avant l'heure... ou l'histoire d'une double injustice
Elle est facile, je l'avoue. Mais pour Noël, c'est quand même Noël avant l'heure : beau cadeau que ce golden parachute évalué entre 6 et 8.5 millions d'euros... De quoi est-il composé exactement ? Une clause de non-concurrence qui, s'il la respecte, est rémunérée à hauteur de 50% de son salaire, et en plus deux années de salaires en guise de prime de départ, en sachant que l'ex-dirigeant d'EADS a touché 2,33 millions d'euros brut pour l'année 2005. Voilà comment on dépasse les 6 millions d'euros. Ca vous parait beaucoup ? Pour avoir un ordre d'idée, 2.33 millions d'euros c'est environ ce que gagnait Zinedine Zidane en deux mois (2005). Toujours pour les ordres de grandeur, notre Zizou gagnait en un an ce que gagnerait un RMiste en... 3000 ans. Mais cette petite prime de départ ne doit pas faire rougir Noël Forgeard car elle le place facilement dans le Top5 français.
Comment justifier de telles inégalités ?
Des inégalités de revenus aussi grandes sont elles justes ? On est tout de suite tenté de dire non. Rappelons que le seuil de pauvreté en France est situé aux alentours de 645€, qu'un SMIC à temps plein en rapporte 1254, donc un smicard français à mi-temps vit sous le seuil de pauvreté. Rajoutons à cela que la pénibilité du travail se situe plus du côté de l'ouvrier siderurgiste de MittalSteel que du PDG de l'aeronautique. Est-ce la prise de risque qui justifie alors de tels salaires ? On voit ici clairement que non puisque sa prime de licenciement va permettre à N. Forgeard de voir les mois qui viennent avec une certaine sérénité.
Mais c'est plus compliqué que cela. De telles sommes ne servent pas (que) à acheter des collections de voitures de luxe, à réaliser des dépenses somptuaires. Une bonne partie est réinjectée directement dans l'économie. Il faut voir que ces fonds vont pouvoir servir l'investissement, donc permettre la recherche, l'innovation, l'amélioration des gains de productivité. Il va donc y a avoir des effets sur les salaires, sur la compétitivité des entreprises, sur les recettes de l'Etat, sur la croissance, donc sur l'emploi... Il s'agit là d'un cercle vertueux bien connu, reste encore à faire en sorte qu'il se réalise. Et il est permis d'en douter dans la mesure où, depuis que Jean-Marie Messier avait lancé la mode des parachutes dorés, on ne voit point les résultats salutaires des investissements des grands patrons. De tels écarts entre une poignée d'individus et le commun des mortels restent difficilement justifiables.
Comment justifier les cadeaux pour les patrons incompétents ?
Difficile à justifier d'autant plus que l'on ne comprend pas au nom de quoi Noël Forgeard - et d'autres avant lui - devrait se voir gratifier pour une oeuvre des plus discutables. Il faut bien comprendre pourquoi et comment nous en sommes arrivés à des situations où les grands managers quittent leur entreprise chargés de millions.
Tout part du milieu des années 70. Après la guerre et pendant trois décennies, la part des profits dans la valeur ajoutée a chuté à mesure que celle des salaires a augmenté. La crise, à partir du milieu des années 70, a profondément remis en cause cela. Le libéralisme est revenu en force, le keynesiannisme s'est vu profondément critiqué, l'actionnariat légitimé. Le chômage de masse a remis en cause le rapport de force entre salariés et patronnat. L'accession progressive des ménages aux marchés d'actions a contribué à cette légitimation de l'actionnariat. Dès lors que les actionnaires reprennent la main dans les entreprises, c'est la rentabilité maximale qui est visée. Une théorie économique va accompagner ce retour de l'actionnaire : c'est la théorie de l'agence. Dans la relation d'agence il y a un contrat : l'actionnaire charge le manager d'éxécuter en son nom la gestion de l'entreprise, mais les intérêts du manager ne sont pas forcément ceux des actionnaires (un grand patron a intérêt à accroître son pouvoir et son prestige, mais les dépenses engagés par l'entreprise dans ce but vont à l'encontre de sa recherche de rentabilité). Pour contraindre le manager à suivre les intérêts des actionnaires, on l'incite à remplir certains objectifs grace à des stock-options ou des golden parachutes.
Noël Forgeard, ancien conseiller pour les affaires industrielles de Jacques Chirac, fait actuellement l'objet d'une enquête par l'Autorité des Marchés Financiers pour une suspicion de délit d'initié : N. Forgeard a réalisé une plus-value de 2.5 millions d'euros en vendant les actions Airbus qu'il détenait et ce deux semaines avant l'annonce du retard pris par le programme de l'A380. Airbus est la première filiale d'EADS. Les conséquences du retard pris par l'A380 ont conduit les actuels dirigeants à proposer un plan de restructuration Power8 prévoyant la suppression de 10 000 emplois et la vente de 3 usines dans les cinq années à venir. Peut-on parler de bonne gouvernance d'entreprise dans ces conditions ? Comment peut-on encore justifier des indemnités de ce montant là ? La question reste ouverte.
Pour conclure cette note, encore un peu longue, rappelons que Louis Gallois, ancien Pdg de la SNCF qui a pris la tête d'Airbus et a remplacé Noël Forgeard à la co-présidence française d'EADS (l'autre co-président est Allemand), a demandé à ce que son salaire ne dépasse pas 188 000€/an, soit 13 fois moins que son prédécesseur.
Update : Olivier Bouba-Olga parle de la rémunération des patrons sur son blog
Comment justifier de telles inégalités ?
Des inégalités de revenus aussi grandes sont elles justes ? On est tout de suite tenté de dire non. Rappelons que le seuil de pauvreté en France est situé aux alentours de 645€, qu'un SMIC à temps plein en rapporte 1254, donc un smicard français à mi-temps vit sous le seuil de pauvreté. Rajoutons à cela que la pénibilité du travail se situe plus du côté de l'ouvrier siderurgiste de MittalSteel que du PDG de l'aeronautique. Est-ce la prise de risque qui justifie alors de tels salaires ? On voit ici clairement que non puisque sa prime de licenciement va permettre à N. Forgeard de voir les mois qui viennent avec une certaine sérénité.
Mais c'est plus compliqué que cela. De telles sommes ne servent pas (que) à acheter des collections de voitures de luxe, à réaliser des dépenses somptuaires. Une bonne partie est réinjectée directement dans l'économie. Il faut voir que ces fonds vont pouvoir servir l'investissement, donc permettre la recherche, l'innovation, l'amélioration des gains de productivité. Il va donc y a avoir des effets sur les salaires, sur la compétitivité des entreprises, sur les recettes de l'Etat, sur la croissance, donc sur l'emploi... Il s'agit là d'un cercle vertueux bien connu, reste encore à faire en sorte qu'il se réalise. Et il est permis d'en douter dans la mesure où, depuis que Jean-Marie Messier avait lancé la mode des parachutes dorés, on ne voit point les résultats salutaires des investissements des grands patrons. De tels écarts entre une poignée d'individus et le commun des mortels restent difficilement justifiables.
Comment justifier les cadeaux pour les patrons incompétents ?
Difficile à justifier d'autant plus que l'on ne comprend pas au nom de quoi Noël Forgeard - et d'autres avant lui - devrait se voir gratifier pour une oeuvre des plus discutables. Il faut bien comprendre pourquoi et comment nous en sommes arrivés à des situations où les grands managers quittent leur entreprise chargés de millions.
Tout part du milieu des années 70. Après la guerre et pendant trois décennies, la part des profits dans la valeur ajoutée a chuté à mesure que celle des salaires a augmenté. La crise, à partir du milieu des années 70, a profondément remis en cause cela. Le libéralisme est revenu en force, le keynesiannisme s'est vu profondément critiqué, l'actionnariat légitimé. Le chômage de masse a remis en cause le rapport de force entre salariés et patronnat. L'accession progressive des ménages aux marchés d'actions a contribué à cette légitimation de l'actionnariat. Dès lors que les actionnaires reprennent la main dans les entreprises, c'est la rentabilité maximale qui est visée. Une théorie économique va accompagner ce retour de l'actionnaire : c'est la théorie de l'agence. Dans la relation d'agence il y a un contrat : l'actionnaire charge le manager d'éxécuter en son nom la gestion de l'entreprise, mais les intérêts du manager ne sont pas forcément ceux des actionnaires (un grand patron a intérêt à accroître son pouvoir et son prestige, mais les dépenses engagés par l'entreprise dans ce but vont à l'encontre de sa recherche de rentabilité). Pour contraindre le manager à suivre les intérêts des actionnaires, on l'incite à remplir certains objectifs grace à des stock-options ou des golden parachutes.
Noël Forgeard, ancien conseiller pour les affaires industrielles de Jacques Chirac, fait actuellement l'objet d'une enquête par l'Autorité des Marchés Financiers pour une suspicion de délit d'initié : N. Forgeard a réalisé une plus-value de 2.5 millions d'euros en vendant les actions Airbus qu'il détenait et ce deux semaines avant l'annonce du retard pris par le programme de l'A380. Airbus est la première filiale d'EADS. Les conséquences du retard pris par l'A380 ont conduit les actuels dirigeants à proposer un plan de restructuration Power8 prévoyant la suppression de 10 000 emplois et la vente de 3 usines dans les cinq années à venir. Peut-on parler de bonne gouvernance d'entreprise dans ces conditions ? Comment peut-on encore justifier des indemnités de ce montant là ? La question reste ouverte.
Pour conclure cette note, encore un peu longue, rappelons que Louis Gallois, ancien Pdg de la SNCF qui a pris la tête d'Airbus et a remplacé Noël Forgeard à la co-présidence française d'EADS (l'autre co-président est Allemand), a demandé à ce que son salaire ne dépasse pas 188 000€/an, soit 13 fois moins que son prédécesseur.
Update : Olivier Bouba-Olga parle de la rémunération des patrons sur son blog
2 commentaires:
Très interressant... Je serai favorable à un salaire max indicé sur le salaire min de l'entreprise (max=20xsalaire_min par exemple), mais aucun candidat ne le propose...mince !
A quand un sujet sur la dette publique ;-) ?
à quand un golden parachute pour les VPE...
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