samedi 21 avril 2007

Quoi que je fasse, je représente toute ma communauté


« J’ai honte, car mes parents m’ont toujours dit que, quoi que je fasse, je représente toute ma communauté »

Ces mots sont ceux d’une jeune étudiante coréenne de l’Université Virginia Tech aux Etats-Unis, touchée récemment par le drame dont tout le monde a entendu parler. Je ne compte pas revenir ici sur le comportement extrêmement déviant du jeune tueur en série suicidaire, Cho Seung-Hui : à en croire le traitement médiatique, il semblerait que des raisons plus psychologiques que sociologiques soient à même d’expliquer ce geste d’une brutalité extrême. Je ne vais pas aborder non plus la question de la sécurité sur les campus universitaires, si vous voulez lire une bonne note là-dessus, cliquez-ici. Mais je vais plutôt revenir sur le fait que l’étudiante coréenne et deux de ses compatriotes ont hésité plusieurs jours avant de revenir sur le campus sur lequel s’est déroulée la triste fusillade. Il ne s’agissait pas pour elle de peur de représailles. Elles se sont dites, au micro de France-Info jeudi, « honteuses ».

Le poids du collectif dans les sociétés asiatiques
En Corée du Sud, christianisme et bouddhisme sont les deux principales religions, regroupant respectivement 49 et 47% des croyants. Et si seulement 3% de la population se déclarent confucianistes, les valeurs et croyances confucéennes restent encore très prégnantes. Le respect des règles sociales y est primordial puisque tout écart à la norme est susceptible de briser l'harmonie du groupe. Les valeurs que diffuse le confucianisme sont l'ordre, l'obéissance aux aînés (ou aux supérieurs dans un cadre professionnel), dévouement au groupe et défense de la famille. La famille est une unité aux fonctions multiples. Jacques Pimpaneau, sinologue français, établit une liste de ces fonctions pour la famille chinoise, que l'on peut se permettre de transposer au voisin coréen : la famille élargie (pas uniquement père-mère-enfants, ça c'est la famille nucléaire, mais également les grands-parents) est une unité économique, car tous partagent les mêmes terres, une unité communautaire, ils partagent un même toit, une unité religieuse, ils partagent le culte des ancêtres, enfin une unité sociale car chaque membre porte la responsabilité de son groupe. Par extension, la nature des relations à l'intérieur de la famille s'est appliquée aux autres sphères de la société. Tout ceci pour parvenir à comprendre comment une jeune fille coréenne peut ressentir de la honte avec une intensité qu'un occidental n'aurait probablement pas éprouvé aussi fortement. Pour en savoir plus sur le confucianisme, sa version moderne et plus largement les valeurs asiatiques, je vous renvoie à la conférence tenue en 2000 par Anne Cheng à l'UTLS.

Relativisme, universalisme, ethnocentrisme...
Le poids du groupe a été fort dans les sociétés occidentales également. Il l'est peut-être moins maintenant, au profit de l'individu devenu une valeur en soi. Cette montée de l'individualisme a permis à certains auteurs (sociologues, philosophes) de penser que nous étions entrés dans une "post-modernité". D'autres n'ont pas tant vu la montée de l'individualisme que le déclin des institutions (François Dubet) et parlent plus volontiers d'une deuxième modernité, pour éviter la connotation péjorative de la première formule. Toujours est il que ceux qui pensent que les cultures s'uniformisent avec la mondialisation en sont pour leurs frais : la culture(1) est d'une complexité inouïe, elle se défend, se transforme, elle connaît un perpétuel changement. Les réactions ethnocentriques d'incompréhension de tel ou tel comportement, de telle ou telle valeur sont quotidiennes, et apportent en creux la preuve que les cultures sont différentes. Bien sûr il faut rester vigilant, l'incompréhension est souvent la source de l'intolérance (bientôt une note sur le "choc des cultures" :-))).

En illustration, je ne saurai trop vous conseiller cette note particulièrement intéressante pour qui la lit avec un regard sociologique : il s'agit d'un jeune américain d'origine malaisienne, qui connaît parfaitement les valeurs partagées par ses "voisins" coréens (Kuala-Lumpur - Séoul : 4592km à vol d'oiseau) , mais qui comprend sans comprendre pourquoi une nation entière présente ses excuses pour les actes d'un seul homme. Les mystères de l'acculturation...

(1) La culture se comprend dans cette note au sens de Edward B. Tylor : "un tout complexe qui inclut les connaissances, les croyances, l’art, le droit, la morale, les coutumes, et toutes les autres aptitudes et habitudes qu’acquiert l’homme en tant que membre d’une société"

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