mardi 2 novembre 2010

Inégalités Hommes/Femmes : dans les têtes et dans les agendas.

Alors que se tenait il y a quelques jours à Paris l'Assemblée Générale constituante de l'association Osez Le Féminisme, le contenu de ma boîte aux lettres et le dernier numéro de la revue Travail, Genre et Société m'indique que cette jeune association a encore du pain sur la planche !


La répartition des tâches domestiques, l'éternelle inégalité ?
Dans le dernier numéro de la revue Travail, Genre et Société, Rachel Silvera signe un article qui dresse un panomara non exhaustif mais très intéressant de ce qui se fait au niveau communautaire en matière de politiques publiques visant à améliorer la "conciliation" entre vie familiale et vie professionnelle des femmes. Au détour d'un paragraphe elle rappelle les résultats d'une étude Eurostat de 2006 qui indiquait l'état du déséquilibre dans la répartition des tâches domestiques un peu partout en Europe.

D’importantes différences existent : entre la Suède, où [les femmes] effectuent environ 50 % de plus de tâches domestiques que les hommes et… l’Italie et l’Espagne où l’écart est de 200 % ! On pourrait penser que les hommes compensent ce faible temps domestique par un surinvestissement dans la sphère professionnelle. Mais c’est loin d’être le cas : si l’on prend en compte le temps contraint – c’est-à-dire le temps domestique et le temps professionnel – il n’y a que trois pays où ces temps sont équivalents entre hommes et femmes (Suède, Royaume-Uni et Pays-Bas). Autrement dit, même lorsque le travail à temps partiel ou les congés parentaux réduisent l’activité professionnelle des femmes, l’équilibre dans les temps sociaux ne se repère pas : les hommes gardent davantage de temps « libre », du temps pour eux-mêmes, quels que soient les modèles sociaux.



Mais pourquoi les femmes préfèrent-elles le ménage ?
Mais oui, pourquoi ? 200% de tâches domestiques de plus que les hommes, c'est plus un fardeau, c'est un hobby...

Coïncidence du calendrier, le mois de novembre est la période de distribution des catalogues de jouets pour Noël dans nos boites aux lettres. Et là, tout s'éclaire. Pour mener à bien l'expérience, j'ai gardé deux catalogues, pour comparer : Carrefour et Casino. Et finalement les deux sont quasi-identiques. Dès le sommaire, chez l'un comme chez l'autre, on retrouve une différentiation sexuée des jouets. "Les filles" d'un côté, "les garçons" de l'autre, y en a 20 pages pour chacun. Une dominante de couleur froide, bleue la plupart du temps, pour les garçons. Une dominante de rose chez les filles. On ne coupe pas au stéréotype de couleur, pour savoir pourquoi le bleu, pourquoi le rose, allez faire un tour du côté de chez Michel Pastoureau, il vous expliquera.

Et on tourne les pages. Pour les garçons : des voitures, des tractopelles, des grues, des trains, des hélicoptères et le quad de SpiderMan... Bref que des objets qui, dans la réalité, n'ont pas leur place à l'intérieur d'une maison. Chez les filles maintenant. Des poupées, des bébés à soigner, des petits animaux (rien à voir avec les dragons et les rhinocéros), des robes de princesses, des poussettes, des landaus, et finalement, la page qu'on préfère : les jouets Smoby. La caisse-enregistreuse, la cuisine, le chariot, le lave-vaisselle et la nouveauté de l'année... le clean service.



Avec le petit commentaire qui va bien : "Super, ton chariot pour faire le ménage dans toute la maison". Si on prête attention au reste de la page, on se rend compte qu'un petit garçon a fait son apparition. Bizarre, dans une rubrique réservée aux filles. Oui mais à bien y regarder il occupe une position bien particulière



Monsieur est médecin évidemment, pas hôtesse de caisse. Il semblerait que Smoby n'ait pas encore intégré que cela fait plus de 20 ans qu'il y a plus de jeunes femmes que de jeunes hommes dans les filières médicales de nos universités.

Bref, toute la panoplie de la ménagère est disponible "dès trois ans" pour les petites filles. La socialisation des enfants passe par l’imitation et le jeu de rôle pour s'identifier aux rôles sexués que la société assigne aux individus. La répartition des tâches entre les adultes ne changeant qu'à la marge, les fabricants de jouets ne font que répondre à une demande sociale : fournir les outils de la reproduction des rôles sociaux. Et si on changeait les jouets pour changer la société. Il y a 40 ans, Ellena Gianini Belotti écrivait "Du côté des petites filles" pour expliquer l'influence des conditionnements sociaux sur la formation du rôle féminin et ce dès la petite enfance. Il faut croire que la société n'a pas beaucoup avancée depuis les années 1970.

5 commentaires:

nicolas a dit…

excellent! Alors quelle solution pour ca? Quel role pour les asso de consommateurs? Sur quoi pourraient elles s'appuyer pour demander la sortie des rayons et limiter la publicité?

alexandre delaigue a dit…

Heu... Qu'est-ce que cela est sensé démontrer, exactement?

- que les femmes sont déterminées génétiquement à aimer les tâches ménagères : la preuve, dès leur plus jeune âge elles aiment jouer avec des balais et des poupées.

- Que les vendeurs de jouets sont sexistes, et utilisent leur pouvoir symbolique pour renforcer ce sexisme dans la société.

- Que nous sommes tous déterminés dès notre plus jeune âge : ce avec quoi nous jouons dans la prime enfance détermine ce que nous ferons plus tard.

- Que visiblement, les jouets doivent être plus sexistes en Europe du Sud qu'en Europe du nord, si l'on en juge par la répartition des tâches à l'âge adulte;

- Qu'obliger les magasins de jouets à vendre des tractopelles en plastique aux petites filles serait un moyen de lutte contre le sexisme;

Ha, au fait, une question : quelle répartition des tâches ménagères entre hommes et femmes dans un couple correspondrait à une situation égale? Après tout, à temps consacré égal, ce n'est pas tout à fait la même chose de faire des chatouilles au petit dernier que de lui changer sa couche sale.

Unknown a dit…

1) Non, d'où mon ironie après l'extrait d'article. Mais l'ironie doit mal passer.

2) Ils ne font que répondre à une demande, mais leur responsabilité n'est pas nulle.

3) Un peu. Même s'il n'y a pas que les jouets qui socialisent, ils participent quand même à la construction des représentations et l'apprentissage des rôles sociaux. Et ce sont les parents qui décident d'acheter tel ou tel jeu, même si les enfants sont prescripteurs.

4) Et est-ce que ce ne serait pas l'inverse : la répartition des tâches plus inégales entre hommes et femmes influe sur la demande de jouets des enfants.

5) Mix-cité milite dans ce sens. Je veux dire pas contre les tractopelles, mais contre le sexisme dans l'offre de jouets des magasins au moment de noël notamment. Il faut faire réfléchir à la fois les producteurs et les consommateurs sur leurs pratiques qui conduisent à reproduire les inégalités.

Une réponse : Mais c'est justement ça le problème. Toutes les études montrent que non seulement il y a une inégalité temporelle très importante entre hommes et femmes, mais qu'en plus lorsque les hommes prennent part aux tâches domestiques, ils les choisissent. Le traitement du linge, de la saleté et le soin des autres sont plus souvent effectués par les femmes. Le jardinage, bricolage, la cuisine "de réception", plus souvent les hommes. En clair, les femmes font plus souvent les tâches qui relèvent de l'intérieur, du caché, et les hommes de l'extérieur, de ce qui est socialement valorisable à l'extérieur du ménage.

Les hommes font des choses qui se voient, à l'inverse, c'est quand les tâches effectuées traditionnellement par les femmes ne sont pas faites que cela se voit : on remarque pas des carreaux propres, une vaisselle nettoyée et rangée et du linge plié et propre. Par contre quand c'est crade...

Et on peut même aller plus loin. On s'est rendu compte que les hommes disent qu'ils n'ont rien contre les tâches domestiques, mais qu'ils n'y pensent pas (ou ne savent pas faire), tout simplement. C'est-à-dire que quand Madame demande à monsieur de descendre les poubelles ou de faire les courses, pas de problèmes. Mais la prise d'initiative, la charge mentale de la tâche est quand même du ressort des femmes.

Bref, j'espère que j'ai pu éclaircir les points que tu trouvais ambigus.

alexandre delaigue a dit…

Moi aussi, c'était ironique. Mais à moitié seulement. Ce genre d'argument est utilisé. C'est le problème lorsqu'on constate la coincidence de jouets sexistes et de pratiques sociales sexistes; il se peut qu'il y ait des causalités, mais on ne sait pas lesquelles; et on peut les interpréter dans le sens que l'on veut.

Choisir une interprétation, c'est préjuger; Et surtout choisir ce qui permet de donner l'impression d'avoir un effet. Changer directement les pratiques à l'intérieur des couples, c'est très difficile (et exigerait un degré d'intervention vite inacceptable) alors on choisit une cible plus facile, sur laquelle on pense pouvoir avoir un effet. La nature de l'effet, on s'en fiche (c'est indémontrable de toute façon). Le problème est que l'on finit par remplacer un objectif final (lutter contre le sexisme) par un objectif secondaire.

Légiférer sur la publicité pour les aliments a-t-il un effet sur l'obesité? Je n'en ai pas l'impression. Mais cela a donné le sentiment d'agir. Cela se rapproche dangereusement de la pensée magique.

Denis Colombi a dit…

Je pense que, bien qu'ils n'amènent les enfants, une fois adulte, à avoir certains comportements, ce genre de jouets contribuent, en même temps qu'ils l'expriment, surtout à la dévalorisation du féminin et à la valorisation du masculin. Deux détails le soulignent : 1) on aura une panoplie de docteur pour un garçon, d'infirmière pour une fille ; 2) une fille qui choisit un jouet de garçon sera plus probablement bien vue et encouragée qu'un garçon qui choisit un jouet de fille.