lundi 5 janvier 2009

Le déficit budgétaire de la France se creuse : bien ou mal ?

A en croire le titre sur le site de 20 Minutes ce matin, rien ne va plus à Bercy : "les comptes publics dérapent", "le déficit s'aggrave", "le cauchemar économique continue", bref le vocabulaire employé est connoté très négativement pour qualifier un banal effet ciseau, peu étonnant en situation de crise. L'augmentation du déficit budgétaire est plus une conséquence normale (pour des keynésiens) du cauchemar économique qu'est le chômage, qu'un élément négatif supplémentaire.

William Vickrey, économiste post-keynésien, prix de la Banque de Suède en la mémoire de Nobel 1996, écrivait en 1993 :

"Le déficit n'est pas un péché économique, mais une nécessité économique. Sa fonction la plus importante est d'être le moyen par lequel le pouvoir d'achat non dépensé en consommation est recyclé en pouvoir d'achat par les emprunts et dépenses d'un gouvernement. Le pouvoir d'achat non recyclé devient non-achat, non-vente, non-production et chômage"


On voit donc que pour les keynésiens, un déficit budgétaire peut tout à fait se justifier par la recherche d'équilibres macroéconomiques (notamment le plein-emploi ou plutôt moins de chômage). Alors que les libéraux vont rechercher l'équilibre budgétaire quelque soit la conjoncture. Mais l'heure est au changement de paradigme, le Figaro consacre une pleine page à John Maynard Keynes pour lui décerner le titre d'homme de l'année 2009 (édition du 2 janvier 09, page 16). Comme quoi, tout peut arriver...

Mais ne faisons pas trop de plans sur la comète, il est encore bien difficile de savoir de quoi sera composé le déficit budgétaire 2009, d'une part parce que nous sommes le 5 janvier, et d'autre part parce qu'on ne peut pas encore savoir ce qui relèvera d'une vraie politique de relance de type keynésien (ce qui n'est pas tout à fait le cas du plan de relance à 26 milliards d'€ engagé par la France) et ce qui relèvera de la réaction mécanique vis-à-vis de la crise : l'effet ciseau de la stabilisation économique.

Effet ciseau ou "stabilisateurs automatiques"

En période de croissance faible (et encore plus en période de récession), l'emploi diminue, le chômage augmente. Si le chômage augmente, le total des indemnités versées aux chômeurs augmentent également (hausse des dépenses de l'Etat) alors que dans le même temps les ménages dépensent moins car les revenus de transferts ne remplacent pas les revenus du travail. S'ils dépensent moins, ils payent moins de TVA, principale recette de l'Etat. S'ils travaillent moins, ils payent moins d'impôts sur le revenu. Si les entreprises produisent moins, elles payent moins d'impôts sur les sociétés. On a donc dans le même temps une double réaction mécanique : la hausse des dépenses d'aide aux entreprises et aux chômeurs et la baisse des recettes fiscales. Ce n'est donc pas un "dérapage" au sens où on laisserait filer sciemment le déficit : on ne peut rien faire pour limiter cela, sauf à rompre le contrat social d'un côté et plonger l'économie dans une profonde dépression de l'autre.

Sources :
Les comptes publics dérapent, 20 Minutes, 5 janvier 2008
Eric Delattre, Petit dictionnaire des citations économiques, De Boeck, 2008.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

La référence à Vickrey est excellente. Vickrey était une expert de la théorie néoclassique, il y a eu son Nobel pour ça ! Il sait donc de quoi il parle quand, dans ses tous derniers textes, où il aborde entre autres choses la question des déficits budgétaires sous un angle résolument keynésien, il en fait une critique dévastatrice.

Unknown a dit…

Merci
C'est pas pour faire de la pub mais j'ai pu faire cette référence grâce au petit dico des citations économiques de votre collègue Eric Delattre, vraiment très pratique !