lundi 4 février 2008

L'économie communiste de marché

Retrouvé via Rezo.net, un papier signé Alain Supiot et paru dans Le Monde daté du 25 janvier 2008 que je n'avais pas vu passé. Je vous conseille la lecture de l'article dans sa version intégrale (en cliquant ici). Si vous êtes pressés, j'en reproduis ici les derniers paragraphes qui me semblent tout à fait intéressants.

Avec leur arrogance habituelle, les Occidentaux ont vu dans [la conversion de l'Europe de l'Est et de la Chine à l'économie de marché], et l'élargissement de l'Union qui en a résulté, la victoire finale de leur modèle de société, alors qu'ils ont donné le jour à ce que les dirigeants chinois appellent aujourd'hui "l'économie communiste de marché".

On aurait tort de ne pas prendre au sérieux cette notion d'allure baroque, car elle éclaire le cours pris par la globalisation. Edifié sur la base de ce que le capitalisme et le communisme avaient en commun (l'économisme et l'universalisme abstrait), ce système hybride emprunte au marché la compétition de tous contre tous, le libre-échange et la maximisation des utilités individuelles, et au communisme la "démocratie limitée", l'instrumentalisation du droit, l'obsession de la quantification et la déconnection totale du sort des dirigeants et des dirigés. Il offre aux classes dirigeantes la possibilité de s'enrichir de façon colossale (ce que ne permettait pas le communisme) tout en se désolidarisant du sort des classes moyennes et populaires (ce que ne permettait pas la démocratie politique ou sociale des Etats-providence). Une nouvelle nomenklatura, qui doit une bonne part de sa fortune soudaine à la privatisation des biens publics, use ainsi de la libéralisation des marchés pour s'exonérer du financement des systèmes de solidarité nationaux.

Cette "sécession des élites" (selon l'heureuse expression de Christopher Lasch) est conduite par un nouveau type de dirigeants (hauts fonctionnaires, anciens responsables communistes, militants maoïstes reconvertis dans les affaires) qui n'ont plus grand-chose à voir avec l'entrepreneur capitaliste traditionnel. Leur ligne de conduite a été exprimée il y a peu avec beaucoup de franchise et de clarté par l'un d'entre eux : il faut "défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance". En tête de ce programme figuraient "l'établissement de la démocratie la plus large (...), la liberté de la presse et son indépendance à l'égard des puissances d'argent, (...) l'instauration d'une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l'éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l'économie, (...) la reconstitution, dans ses libertés traditionnelles, d'un syndicalisme indépendant". Rien de tout cela n'est en effet compatible avec l'économie communiste de marché.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,

Je vous invite à découvrir ou redécouvrir mes deux sites politiques:

http://segolenepour2007.over-blog.com et http://obama2008.over-blog.com

Plus de 47 000 personnes ont déja visités celui sur Ségolène Royal et près de 2 000 celui sur Barack Obama.

Très bonne visite et n'hésitez pas à me laisser vos impressions de toutes sortes, par commentaires, ou par mail.

Cordialement.
Kévin

Anonyme a dit…

Voici l’économie néo-conservatrice de marché

Dans une « Opinion » récente (Le Monde, 25 janvier), Alain Supiot, juriste et directeur de l’Institut d’études avancées de Nantes, prétend éclairer « le cours pris par la globalisation » à l’aide de la « notion d’allure baroque » d’« économie communiste de marché » — un « système hybride » prétendument fondé sur « le pire du capitalisme et le pire du communisme ».

Ce spécialiste du droit du travail, membre de l’Institut universitaire de France, ajoute très sérieusement que le succès actuel des idées néolibérales « doit moins [...] aux théories économiques, qu’à la conversion de l’Europe de l’Est et de la Chine à l’économie de marché ». Un peu comme si les dirigeants des pays capitalistes avaient attendu cette conversion pour mettre les principes d’une économie néolibérale en œuvre en Occident, et pour commencer à y démanteler les politiques sociales distributives propres aux États-providence.

Un tel aveuglement résulterait-il d’une double méconnaissance — celle d’une étape capitale de l’histoire économique contemporaine combinée à celle de la nature même du néolibéralisme ?

Quoi qu’il en soit, les dirigeants occidentaux n’ont pas attendu le ralliement de ces pays à l’économie de marché pour lancer la leur dans la voie du néolibéralisme. Opposé au keynésianisme, Friedrich « Hayek crée, en avril 1947, la “Société du Mont Pèlerin” [...], association destinée à défendre et à diffuser les idées libérales », tandis que « la “Bible” du libéralisme moderne » — les trois volumes, aujourd’hui réunis en un, de son ouvrage : Droit, législation et liberté — paraît au cours des années 1970.1 C’est également à cette époque — en 1974, pour être précis — que le théoricien du libéralisme moderne se voit décerner le prix Nobel d’économie. En conséquence, le succès actuel des idées néolibérales et « le cours pris par la globalisation » ne seraient-ils pas beaucoup plus redevables, au contraire, à la mise en œuvre de ces théories économiques libérales par Margaret Thatcher et Ronald Reagan, dès la fin des années 1970 et au début des années 1980, « qu’à la conversion de l’Europe de l’Est et de la Chine à l’économie de marché » ?

On a, par ailleurs, beaucoup trop tendance à cantonner le néolibéralisme dans la sphère économique et à classer tous ses théoriciens parmi les stricts défenseurs de l’État minimum. En réalité, rien n’est plus faut.

Wendy Brown, par exemple, rappelle fort utilement que « le néolibéralisme n’est [...] pas uniquement un ensemble de mesures économiques ; il ne s’agit pas seulement de faciliter le libre-échange, de maximiser les profits des entreprises et de remettre en cause les aides publiques. »2 La rationalité néolibérale, poursuit la théoricienne politique américaine, « consiste plutôt dans l’extension et la dissémination des valeurs du marché à la politique sociale et à toutes les institutions ».2 Dans la vision néolibérale, l’État n’est donc pas réduit au strict minimum, mais il est exclusivement au service de l’économie : « l’État doit obéir aux besoins du marché, que ce soit par des mesures politiques et fiscales, sa politique d’immigration, son traitement de la criminalité ou la structure du système éducatif. » 2

Aussi, les pires caractéristiques de la mondialisation néolibérale où notre juriste croit pouvoir reconnaître des emprunts au communisme — comme « la “démocratie limitée”, l’instrumentalisation du droit, l’obsession de la quantification et la déconnection totale du sort des dirigeants et des dirigés » — ne pourraient être en réalité que des traits propres aux rationalités néolibérale et néo-conservatrice.

Le néolibéralisme n’a nul besoin d’emprunter, par exemple, la notion de « démocratie limitée » au communisme puisqu’elle fait déjà partie intégrante de l’idéologie néolibérale. Comme le fait d’ailleurs remarquer Alain Supiot lui-même : « Hayek a développé dans son œuvre le projet d’une “démocratie limitée”, dans laquelle la répartition du travail et des richesses, de même que la monnaie, seraient soustraites à la décision politique et aux aléas électoraux. »

De plus, « à l’instar des néolibéraux, qui s’écartent du laissez-faire économique en recourant au droit et à la politique pour soutenir le marché et définir les objectifs sociaux, les néo-conservateurs sont partisans de l’étatisme : ils défendent un État qui légifère sur les questions morales, l’encadrement étatique de l’économie et, bien entendu, la puissance militaro-étatique ».2 Pourquoi les néo-conservateurs américains et européens iraient-ils dès lors emprunter chez les communistes les pires caractéristiques étatiques qu’ils partagent idéologiquement avec eux ?

En somme, notre spécialiste du droit du travail avait tout à fait raison lorsqu’il affirmait, vers le milieu de son exposé, que l’« Europe est [...] en passe de réaliser les projets constitutionnels de l’un des pères du fondamentalisme économique contemporain : Friedrich Hayek. » — le fondateur du libéralisme moderne que l’on pourrait, sans grand risque d’erreur, considérer aussi comme un des plus grands théoriciens de l’économie néo-conservatrice de marché.

Patrick Gillard

1 Friedrich A. HAYEK, Droit, législation et liberté, PUF, Paris, 2007, préface de Philippe Nemo.

2 Wendy BROWN, Les habits neufs de la politique mondiale : néolibéralisme et néo-conservatisme, Les Prairies ordinaires, Paris, 2007, pp. 49, 50, 52-53 et 110.

Unknown a dit…

Merci Anonyme de rapporter ici une réaction critique à la tribune d'Alain Supiot. Je ne sais pas qui est Patrick Gillard ni d'où il parle. Est-ce que cette réaction est tirée d'un autre site web ? Auquel cas il conviendrait d'en mentionner le lien. En tout cas merci pour l'apport de ce point de vue contradictoire. Vive le pluralisme.

Mais bon, j'ai quand même l'impression que P. Gillard a lu l'article d'A. Supiot un peu vite. A propos de l'adoption de l'économie de marché comme modèle par les pays de l'Est et la Chine, jamais Supiot n'affirme que "les dirigeants des pays capitalistes [ont] attendu cette conversion pour mettre les principes d’une économie néolibérale en œuvre en Occident". Au contraire il dit que les principes d'une économie libérale ont bien été mis en oeuvre en occident après les oeuvres de Hayek (je pense qu'il se souvient du mot de Maggie à la chambre des lords en 81 : "Je suis une grande admiratrice du professeur Hayek. Il serait bien que les honorables membres de cette chambre lisent certains de ses livres").

Je pense que le propos de Supiot est moins de dire que les pays occidentaux ont attendu les PECO et la Chine pour passer à l'économie de marché, que de montrer que ces pays ne sont pas vraiment entrés dans un modèle d'économie de marché identique au notre. C'est comme s'ils s'étaient inspirés partiellement mais avait conservé quelques traits propres au communisme. Et que finalement l'influence pouvait s'inverser avec une tentation pour nos élites de se désolidariser totalement du reste de la population (cf la citation de Kessler, ex-Marxiste et ex-VP du Medef).

Au risque de paraître un poil extrême, Il me semble que la fin du communisme occidental n'est plus à discuter. Aujourd'hui la LCR et le PCF cherchent tous deux un moyen de retirer le C de leur sigle. Le glissement sémantique du "marxisme/socialisme" vers le "communisme" au début du XXe siècle semble continuer son chemin en ce début de XXIe siècle vers l'"anti-capitalisme" (cf les dernières déclarations des dirigeants du PC et de la Ligue). Avec comme défaut de montrer que l'idéologie véhiculée par ces organisations ne se contruit plus vers un modèle de société, mais contre celui en place.

A un stade ou certains pensent que la démocratie en est à son hiver, le terme de communisme n'est plus du tout synonyme de démocratie, reflétant à la fois une conséquence du passé (la barbarie et l'échec du communisme soviétique) et du présent (la Chine dont on connait le degré de liberté dont bénéficie la population).

Vaste débat.

Anonyme a dit…

Merci pour votre commentaire.

Je résume ce que je voulais dire.

Les dérives néolibérales de l'Union européenne (affaires Viking et Laval) qu'Alain Supiot dénonce dans son article sont bien réelles, mais elles ne sont pas neuves.

Elles ne résultent pas principalement de la « conversion de l'Europe de l'Est et de la Chine à l'économie de marché » puisqu’elles étaient déjà inscrites dans l'œuvre du père du néolibéralisme.

Alain Supiot reconnaît qu’ « Hayek a développé dans son œuvre le projet d’une “démocratie limitée” ».

C'est l'application des théories économiques néolibérales, d'abord en Grande-Bretagne et aux États-Unis à partir de la fin des années 1970 et au début des années 1980, puis leur généralisation progressive à l'ensemble du globe, qui permet d’expliquer les dérives démocratiques actuelles de l’Europe.

Cela n’a rien à voir avec le communisme.

Même si le résultat de ces dérives propres au système capitaliste donne naissance, en Occident, à des États ou ensemble d’États néo-conservateurs qui partagent certaines caractéristiques des régimes communistes.

L’influence du communisme est-elle vraiment nécessaire pour que nos élites se désolidarisent totalement du reste de la population ?

julien a dit…

peut-être (un peu) hors propos ici, mais tellement "divertissante" par ailleurs, la lettre de Staline à ses enfants réconciliés par R. Vaneigem, qui part du postulat inverse (très classique notamment chez les trotskystes) : le "communisme" n'a été qu'un capitalisme d'état...
une petite centaine de pages que l'on aimerait bien trouver vieillies...(première version 1992)
http://www.editions-verdier.fr/v3/oeuvre-lettrestaline.html