Les pauvres, la santé et les franchises médicales
Olivier Bouba-Olga revient sur son blog sur le bulletin INSEE Première n°1162 consacré à une étude qui différencie régions riches et régions pauvres. Je vous incite à lire ce Insee Première ainsi que la petite note d’OBO forte intéressante, avec des petits calculs qui en disent long.
Mais ces jours-ci mon attention a plutôt été retenue par le numéro précédent d’INSEE Première, le n°1161 consacré à la santé des pauvres. Dans cette note la pauvreté est entendue dans sa définition européenne, c'est-à-dire qu’est considérée comme personne à bas revenu toute personne dont les revenus ne dépassent pas 60% du niveau de vie médian. Avec toutes les imperfections qui caractérisent ce genre de définition : quid de celui qui est à 60,01 %
A l’heure où le débat sur l’instauration des franchises médicales est encore vif en France – bien que le texte ait été voté à l’assemblée le 6 novembre, pour une mise en place dès le 1er janvier 2008 – la lecture de cette note de l'INSEE est plus qu’intéressante.
Pas de progressivité
En effet, contrairement aux autres pays d’Europe où elle est instaurée, la franchise médicale à la française ne prévoit aucune progressivité. Que votre salaire soit nul, que vous soyez pris en charge par la Couverture Maladie Universelle, ou bien que vous vous appeliez Arnaud Lagardère, vous paierez la même franchise médicale. Or toutes études de sociologie de la santé montrent que les pauvres se soignent moins bien que les riches. Par méconnaissance du système (et notamment des rôles des différents spécialistes), par un rapport au corps et à la médecine différent de ceux des classes plus aisées de la population (on va chez les médecins quand on va vraiment mal… c’est-à-dire souvent trop tard), les pauvres ont un taux de morbidité (probabilité de tomber malade) et un taux de mortalité (pas besoin d’expliquer) bien supérieur aux classes favorisées. Il y a donc fort à parier que les franchises médicales ne vont pas améliorer la situation pour cette population, en l’éloignant encore un peu plus le domaine de la santé.
La santé des pauvres
L’étude de l’INSEE met en avant plusieurs points qui viennent confirmer ce que les autres études ont déjà surligné par le passé. En clair, les pauvres consultent moins les médecins, et particulièrement les spécialistes ; ils se déclarent plus souvent en mauvaise santé que le reste de la population ; dans la suite du premier élément, les problèmes dentaires sont surreprésentés ; les enfants pauvres subissent tout autant que leurs parents, si ce n’est plus, l’éloignement vis-à-vis du corps médical ; et enfin les pratiques de dépistages et de prévention sont beaucoup moins fréquentes chez les personnes appartenant aux ménages les plus modestes. Il n’est donc pas étonnant de retrouver une surreprésentation de cette population chez les personnes atteintes du cancer du colon, des seins ou de l’utérus : pas de dépistage a priori mais un diagnostic a posteriori.
La raison première avancée est tout simplement la question du financement de la santé. Face au non remboursement des appareils dentaires ou des lunettes, ou même à cause du fait d’avancer le coût de la consultation et de ne pouvoir bénéficier du tiers payant, les ménages hésitent à se soigner. Et ce même avec la mise en place de la CMU : certains ne font pas la démarche de demander à en bénéficier, probablement parce que bénéficier de la CMU revient à être « étiqueter » comme pauvre (voir la notion d'étiquetage chez H. S. Becker), mais il y a également un effet de seuil qui conduit une partie non négligeable de la population modeste à dépasser les plafonds de ressources. Ainsi on peut lire dans l'étude de l'INSEE :
Ces écarts en matière de santé peuvent en effet provenir de la contrainte financière qui pèse sur les plus pauvres, malgré la mise en place de la couverture maladie universelle (CMU) et de sa complémentaire. D’une part, les plus pauvres ne demandent pas toujours à en bénéficier, d’autre part, leurs ressources peuvent être supérieures au plafond requis pour l’affiliation. Ainsi, 22 % des individus ayant de faibles revenus n’ont pas de complémentaire santé (CMU comprise) alors que ce n’est le cas que de 7 % du reste de la population.
Dans ces conditions, on a du mal à croire que les franchises médicales à la française n’aient pas un impact sur les dépenses de santé des plus démunis. Ces franchises amènent donc une modification profonde de notre façon de penser la solidarité.
Ailleurs… l’exemple de la Suisse
Laurent Mossu, correspondant à Genève pour France Inter, rapportait ce matin que la franchise annuelle en Suisse avait permis de réduire de 20% les dépenses de santé « à qualité de soin constante ». La franchise est fixée à 300 Francs Suisse (187€), plus une quote-part de 10% (sur toutes les dépenses de médecin, de médicaments ou d’hospitalisation) qui reste à la charge du malade jusqu’à un maximum de 437€. « Grosso modo, nous dit Laurent Mossu, 15% des dépenses de santé sont couvertes par les malades », et le gouvernement suisse a pour projet de faire doubler la quote-part. « Il considère que cette participation additionnelle est parfaitement supportable, ne pénalisant pas les patients atteints de maladies chroniques, ou à coûts élevés ». A croire qu’il n’y a pas de pauvre en Suisse…
(à vous de déterminer si cette dernière phrase relève du premier, du second ou du troisième degré)
Sources :
Mais ces jours-ci mon attention a plutôt été retenue par le numéro précédent d’INSEE Première, le n°1161 consacré à la santé des pauvres. Dans cette note la pauvreté est entendue dans sa définition européenne, c'est-à-dire qu’est considérée comme personne à bas revenu toute personne dont les revenus ne dépassent pas 60% du niveau de vie médian. Avec toutes les imperfections qui caractérisent ce genre de définition : quid de celui qui est à 60,01 %
A l’heure où le débat sur l’instauration des franchises médicales est encore vif en France – bien que le texte ait été voté à l’assemblée le 6 novembre, pour une mise en place dès le 1er janvier 2008 – la lecture de cette note de l'INSEE est plus qu’intéressante.
Pas de progressivité
En effet, contrairement aux autres pays d’Europe où elle est instaurée, la franchise médicale à la française ne prévoit aucune progressivité. Que votre salaire soit nul, que vous soyez pris en charge par la Couverture Maladie Universelle, ou bien que vous vous appeliez Arnaud Lagardère, vous paierez la même franchise médicale. Or toutes études de sociologie de la santé montrent que les pauvres se soignent moins bien que les riches. Par méconnaissance du système (et notamment des rôles des différents spécialistes), par un rapport au corps et à la médecine différent de ceux des classes plus aisées de la population (on va chez les médecins quand on va vraiment mal… c’est-à-dire souvent trop tard), les pauvres ont un taux de morbidité (probabilité de tomber malade) et un taux de mortalité (pas besoin d’expliquer) bien supérieur aux classes favorisées. Il y a donc fort à parier que les franchises médicales ne vont pas améliorer la situation pour cette population, en l’éloignant encore un peu plus le domaine de la santé.
La santé des pauvres
L’étude de l’INSEE met en avant plusieurs points qui viennent confirmer ce que les autres études ont déjà surligné par le passé. En clair, les pauvres consultent moins les médecins, et particulièrement les spécialistes ; ils se déclarent plus souvent en mauvaise santé que le reste de la population ; dans la suite du premier élément, les problèmes dentaires sont surreprésentés ; les enfants pauvres subissent tout autant que leurs parents, si ce n’est plus, l’éloignement vis-à-vis du corps médical ; et enfin les pratiques de dépistages et de prévention sont beaucoup moins fréquentes chez les personnes appartenant aux ménages les plus modestes. Il n’est donc pas étonnant de retrouver une surreprésentation de cette population chez les personnes atteintes du cancer du colon, des seins ou de l’utérus : pas de dépistage a priori mais un diagnostic a posteriori.
La raison première avancée est tout simplement la question du financement de la santé. Face au non remboursement des appareils dentaires ou des lunettes, ou même à cause du fait d’avancer le coût de la consultation et de ne pouvoir bénéficier du tiers payant, les ménages hésitent à se soigner. Et ce même avec la mise en place de la CMU : certains ne font pas la démarche de demander à en bénéficier, probablement parce que bénéficier de la CMU revient à être « étiqueter » comme pauvre (voir la notion d'étiquetage chez H. S. Becker), mais il y a également un effet de seuil qui conduit une partie non négligeable de la population modeste à dépasser les plafonds de ressources. Ainsi on peut lire dans l'étude de l'INSEE :
Ces écarts en matière de santé peuvent en effet provenir de la contrainte financière qui pèse sur les plus pauvres, malgré la mise en place de la couverture maladie universelle (CMU) et de sa complémentaire. D’une part, les plus pauvres ne demandent pas toujours à en bénéficier, d’autre part, leurs ressources peuvent être supérieures au plafond requis pour l’affiliation. Ainsi, 22 % des individus ayant de faibles revenus n’ont pas de complémentaire santé (CMU comprise) alors que ce n’est le cas que de 7 % du reste de la population.
Dans ces conditions, on a du mal à croire que les franchises médicales à la française n’aient pas un impact sur les dépenses de santé des plus démunis. Ces franchises amènent donc une modification profonde de notre façon de penser la solidarité.
Ailleurs… l’exemple de la Suisse
Laurent Mossu, correspondant à Genève pour France Inter, rapportait ce matin que la franchise annuelle en Suisse avait permis de réduire de 20% les dépenses de santé « à qualité de soin constante ». La franchise est fixée à 300 Francs Suisse (187€), plus une quote-part de 10% (sur toutes les dépenses de médecin, de médicaments ou d’hospitalisation) qui reste à la charge du malade jusqu’à un maximum de 437€. « Grosso modo, nous dit Laurent Mossu, 15% des dépenses de santé sont couvertes par les malades », et le gouvernement suisse a pour projet de faire doubler la quote-part. « Il considère que cette participation additionnelle est parfaitement supportable, ne pénalisant pas les patients atteints de maladies chroniques, ou à coûts élevés ». A croire qu’il n’y a pas de pauvre en Suisse…
(à vous de déterminer si cette dernière phrase relève du premier, du second ou du troisième degré)
Sources :
- INSEE Première n°1161, octobre 2007
- Howard S. Becker, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Métailié, Paris, 1985
- France-Inter, Global Eco, par Brigitte Jeanperrin, le 08/11/07, à 7h51
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