Repassage pour les femmes, bricolage pour les hommes
La sociologie des rapports sociaux de sexe a encore du boulot...
C'était la première de "Tournez Manège !" hier soir sur Tf1, et en prenant la peine de chausser ses lunettes de sociologue, ça valait son pesant de cacahuètes. Tout le travail de Sylvette Denèfle, Annie Dussuet, Kaufman et De Singly... parti en fumée, en moins 15 secondes. Elle, avec son petit accent de Nancy, elle les aime "un peu macho", qui font le bricolage pendant qu'elle s'occupe du linge. Tant qu'il y aura du linge...
Les habitudes ont la peau dure, il semble toujours naturel que les tâches domestiques soient si inégalement réparties. Toutes les enquêtes emploi du temps des ménages le montrent, et si les tâches sont inégalement réparties quantitativement - en terme de temps de travail domestique - elles le sont également qualitativement.
Ces quelques secondes de programme télévisé nous renvoie directement aux travaux de Françoise Héritier. Dans Masculin/Féminin, l'ethnologue démontre que la différence de sexe structure toute la pensée humaine qui finalement repose comme premier critère de classement sur les concepts d'identité et de différence. On oppose homme et femme comme on oppose chaud et froid, extérieur et intérieur, sec et mouillé, vif et inerte, etc... Et chaque culture construit cette différence à sa manière. Pour revenir à notre exemple et dans nos sociétés occidentales contemporaines, c'est aux hommes que semblent revenir naturellement les travaux d'extérieurs (jardinage, bricolage, entretien du véhicule et des façades du logement), pour les femmes les travaux d'intérieur (au point que dans les enquêtes on retrouve un vrai clivage entre plantes d'extérieur, entretenues souvent par les hommes, et plantes d'intérieur arrosées par les femmes).
Pour les femmes la saleté du quotidien, des travaux le plus souvent invisibles car il faut les refaire tous les trois jours. Pour les hommes les taches qui se donnent à voir : jardinage et bricolage ont des résultats visibles et durables, qui pourront être exposés à des regards extérieurs au ménage, l'homme pourra en tirer une reconnaissance. On a encore jamais vu quelqu'un s'esbaudir devant la propreté d'un carrelage. La particularité des lieux de travail domestique des femmes, c'est qu'on ne les remarque que s'ils sont sales.
Du point de vue de la charge psychologique, on jardine, on bricole pour penser à autre chose. Mais la charge mentale de la programmation des différentes taches, la prévision des courses et de leur liste, c'est aux femmes que cela revient.
Des gants Mapa universellement roses, impossible à trouver en grandes tailles pour des mains d'hommes, jusqu'à la toute dernière pub Persil, tout semble fait pour cantonner les femmes dans leurs buanderies.
Pour finir sur une petite note d'humour, rappelons nous quand les inconnus sévissaient encore à la télé.
Pour aller plus loin :
Sylvette Denefle, Tant qu'il y aura du linge à laver, Paris, Arlea-Corlet, 1995
Annie Dussuet, Logiques domestiques, essai sur les représentations du travail domestique chez les femmes actives de milieu populaire, L’Harmattan, 1997
Jean-Claude Kaufman, La Trame Conjugale - Analyse du couple par son linge, F Nathan, 2000
Dumontier, Guillemot, Meda, Evolution des temps sociaux au travers des enquêtes emploi du temps des ménages, Economie et Statistique, INSEE, 2002
L'INSEE est en train de procéder à une nouvelle enquête emploi du temps des ménages en cette fin d'année 2009, la dernière enquête de ce type datant de 1999.