mercredi 30 janvier 2013

Pour des partis politiques un peu plus européens !

Attention, c'est du Habermas, probablement le paragraphe le plus pointu du bouquin (qui reste quand même accessible). Mais ça vaut le détour, je rejoins pleinement ses analyses. Spéciale dédicace à mes amis politiques :

"Dans la mesure où la politique fait dépendre toute son action de son synchronisme avec une humeur ambiante que, d'élection en élection, elle escorte, convoiteuse et servile, le processus démocratique perd tout son sens. Une élection démocratique n'est pas là pour simplement permettre la projection de l'éventail spontané des opinions ; elle doit restituer ce qui résulte du processus public au cours duquel l'opinion s'est formée. Les voix données dans l'isoloir ne restituent le poids institutionnel de la codétermination démocratique que si elles sont corrélées aux opinions articulées publiquement et formées dans un échange communicationnel de prises de position, d'informations et de raisons en pertinence avec les questions du débat."
Jurgen Habermas, La constitution de l'Europe, Gallimard, 2012.

En clair, la démocratie d'opinion c'est pas bien, c'est trop facile. Suivre des résultats de sondages pour déterminer la politique à mener ne grandit pas le personnel politique. S'il se laisse abaisser à cela, c'est bien le signe qu'il est trop attaché à sa réélection qu'à la vraie poursuite de l'intérêt général, et la prise de risque qui va avec. À ce titre, le rôle des organisations politiques est bien de participer à la formation de l'opinion ( ce qui implique d'apporter tous les éléments nécessaires à la compréhension du débat) et non de la suivre bêtement. Dans la dernière phrase de l'extrait cité, il explique que la légitimité du politique aujourd'hui ne peut plus tenir à l'accumulation des bulletins dans l'urne. les formations politiques ne doivent pas se concentrer sur la compétition politique, car cela ne provoque que le désintérêt et l'indifférence. Elles doivent s'attacher à ce que les idées qu'elles portent provoquent un véritable débat argumenté dans la population.

Comme le suggère le titre de son ouvrage, Habermas s'exprime ici sur le sujet de la construction européenne, et attaque les partis politique (allemand, mais le parallèle avec la France est tout a fait faisable) qu'il juge inactifs lorsqu'il s'agit de faire comprendre les enjeux communautaires. Il les accuse de ne pas parvenir à se défaire de l'idée que la politique doit s'inscrire presque exclusivement dans le cadre de l'Etat-Nation. Et également de colporter l'idée que le "machin bruxellois" est la cause de nos malheurs, sans préciser que ce sont souvent les chefs d'Etats ou les Ministres des 27 Etats membres (i.e. nos représentants démocratiquement élus) qui sont force d'impulsion. Ces deux éléments expliquent évidemment l'hiver démocratique (cf. Guy Hermet) que traverse l'Union européenne.

Il faudrait en effet bannir la "pragmatique du pouvoir" et renouer avec le courage politique, pour proposer un nouvel horizon institutionnel pour l'Europe car le statu quo n'est pas une solution viable : le Conseil est trop influent alors qu'il n'est pas l'institution qui représente les peuples, la Commission n'est pas élue démocratiquement ce qui la déconnecte des européens, et quant au Parlement - qui devrait logiquement être l'institution européenne préférée des citoyens - ses positions et pouvoirs sont trop souvent mal compris, expliquant l'abstention pathologique qui touche les élections européennes.

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jeudi 17 janvier 2013

Comparaison n'est pas raison

Reprise d'activité ? On verra combien de temps cela dure. Il se passe tellement de choses que cela devient difficile et pour tout dire frustrant de ne pas y mettre son grain de sel. Bon nombre de sujets me tiennent à coeur et j'ai envie de les commenter. Et puis 140 caractères c'est trop peu, et Facebook c'est restreint au cercle de connaissances. C'est déjà ça, mais de l'ouverture et de la diversité, ça ne fait pas de mal au débat. Autant prévenir, les posts seront surement plus personnels et engagés qu'auparavant.

A la suite de la fameuse "manifestation pour tous" qui fait couler tant d'encre, les Anti-mariage pour tous partagent une image sur les réseaux sociaux pour revendiquer un référendum sur la question. Cette image fait la comparaison entre la grande manifestation de dimanche 14 janvier et les soulèvements populaires du "Printemps arabe". Certains n'hésitent pas à parler du "Printemps français" (à l'heure où la moitié du pays est en vigilance orange pour cause de verglas et de neige, c'est assez drôle). Cette image, vous l'avez peut-être déjà vue, la voici :



Au départ on est tenté de se dire, "ah oui, effectivement c'est ressemblant". Sauf qu'en vrai la place Tahrir ne ressemble pas vraiment au Champs de Mars. Et puis à bien y réfléchir, on se dit que les mouvements du printemps arabe étaient basés sur deux revendications fortes : la liberté face à un pouvoir qui opprime le peuple, et l'égalité alors que ces régimes consacraient une élite possédante et des populations rationnées. On ne voit plus vraiment le point de comparaison avec les quelques millions de français qui peinent à reconnaître la liberté de quelques autres millions de français en matière d'orientation sexuelle. On a bien entendu les justifications du style "on est pas contre les homosexuels, mais contre leur mariage". On pourra lire le billet très bien senti de J. Macé-Scaron et Christine Lambert sur ce point précis. Mais on sent que cela ne passe pas, les micro-trottoirs de dimanche étaient éloquents, combien de fois n'a-t-on entendu : "les homos font ce qu'ils veulent m'enfin quand même... c'est pas naturel". De même, on ne voit pas trop comment il est possible de comparer les révolutionnaires qui réclamaient l'égalité de l'autre côté de la Méditerranée (bon sur ce point il leur reste du chemin à parcourir !) à ceux qui la refusent ici. Car c'est bien de cela qu'il s'agit. On a bien l'habitude des manifestations qui ont pour but de protéger des droits acquis ou en réclamer de nouveaux. Mais cela fait bien longtemps qu'en France on n'avait pas vu des manifestations qui visent à empêcher le législateur d'augmenter les droits d'une catégorie de la population.

Plus pernicieux, et c'est à se demander si les concepteurs de la campagne n'avaient pas cette idée derrière la tête. En Tunisie, en Egypte, en Lybie, les homosexuels sont encore jetés en prison. Et les nouveaux pouvoirs en place n'y changent rien. Dans ces trois pays l'homosexualité est toujours illégale. Le combat militant des associations gays y est balbutiant, mais il s'organise depuis quelques années. En France on connait Robert Badinter pour son combat de septembre 81, l'abolition de la peine de mort. On a un peu oublié qu'en août 82 il avait gagné un autre combat, celui de la dépénalisation de l'homosexualité. Se comparer à ces pays sur la question de l'acceptation sociale de l'homosexualité est un formidable retour en arrière.

Car la reconnaissance de la multiplicité et de l'évolution des formes familiales, c'est le sens de l'histoire. La société se transforme lorsque norme sociale et norme juridique se déconnectent : parfois la norme juridique évolue plus rapidement que la norme sociale, faisant évoluer les mentalités. Parfois c'est l'inverse, la norme juridique doit s'adapter aux mutations sociales, comme c'est souvent le cas sur les questions familiales (mariage, égalité homme-femme, divorce, adoption, et aujourd'hui égalité homo-hétéro). Les anti-mariage gays veulent que la norme sociale reste consacrée comme le modèle unique par la norme juridique. Ceux qui défendent le projet de loi veulent que la norme juridique évolue pour que la situation des familles homoparentales ne soit justement plus considérée comme a-normale. Au départ cantonné aux "entrepreneurs de morale" de tous bords (je renvoie ici aux travaux d'Hower S. Becker sur l'évolution de la norme sociale et de la norme juridique, et le concept d'entrepreneurs de morale), le débat gagne la société, clivant fortement et faisant resurgir les réflexes mortifères pour le démocratie : la peur de l'autre et de sa différence.

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