mercredi 25 juin 2008

Pause estivale ou définitive (2)


Vous allez me dire que je vous fais le coup tous les ans. Il y a un peu plus de 10 mois je vous annonçais une mutation en Charente et une envie de blogger en baisse. J'ai l'impression que je rechute.

Je quitte la Charente-Maritime, ses ciels hallucinants, les spots de surf, mes élèves adorables, pour les Côtes d'Armor, Saint-Brieuc, Paimpol et sa falaise... En même temps le rythme des billets s'effondre et j'avoue avoir de moins en moins d'inspiration et de motivation pour continuer ce blog.

D'autres préoccupations en tête. Que vont devenir les SES au milieu de la réforme du lycée ? Comment mener le combat pour les sauvegarder ? Les inepties d'Yvon Gattaz vont-elles durer encore longtemps ? Quelles classes vais-je avoir à la rentrée prochaine ? Vais-je finir GTA IV ?

(Pour ceux qui trouvent ce billet trop personnel, j'ai une excuse, je me suis fait tagguer par Cimon le Modeste ! Çà autorise une multiplication du "je")

Photo : Maison des douaniers, Dahouët par Biranbig

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mercredi 11 juin 2008

L'empire Microsoft contre-attaque

Le déploiement du logiciel libre dans les établissements d'enseignement fait peur au géant du logiciel Microsoft. Ce dernier se lance dans une contre offensive importante en ouvrant un site internet (http://www.officepourlesenseignants.fr/) et surtout en proposant pour les enseignants la suite Office 2007 dans sa version professionnelle en téléchargement gratuit. Office 2007 gratuit, vous avez bien lu. Je sens qu'on va encore traiter les profs de privilégiés...

Il faut dire que les logiciels Open Source sont de plus en plus prisés par l'ensemble des administrations publiques. De la gendarmerie à la DGA en passant par l'Assemblée Nationale et bon nombre de collectivités territoriales, de plus en plus de postes sont équipés de la suite Open Office, voire même des systèmes d'exploitation libres comme Ubuntu.

Les logiciels libres ne se contentent plus d'investir les infrastructures réseaux (serveurs, etc.) mais équipent de plus en plus de postes de travail (poste client). La stratégie de Microsoft consiste donc à tenter de conserver des relais importants dans la diffusion de leurs produits. Les enseignants, qui font de plus en plus travailler leurs élèves sur postes informatiques, jouent un vrai rôle de prescripteurs. On peut penser que des élèves qui auront travaillé sur des postes équipés de la suite bureautique de Microsoft seront moins enclins à utiliser des logiciels libres par la suite que s'ils avaient déjà utilisé Open Office pendant leur scolarité. On retrouve là un phénomène de barrière à l'entrée du marché. Mais celle-ci semble inexorablement se transformer en un château de sable, la marée montante du logiciel libre faisant son œuvre.

Le plus intéressant dans tout cela est peut-être le discours officiel tenu par le géant Microsoft. Son argumentation est basée sur la pure philanthropie. E. Le Marois, directeur Education et Recherche de MS France : "nous voulons aider au développement des usages, à l'heure de la généralisation du b2i" (Brevet Informatique et Internet, que tous les collégiens doivent avoir pour passer le diplôme national du brevet, ex-brevet des collèges. Bientôt les lycéens devront passer le B2i-lycée en même temps que leur bac).

Point de stratégie marketing, nulle question de parts de marché dans la bouche des porte-paroles français de Microsoft. Juste envie de rendre service... Que Microsoft se défende, on ne peut pas le reprocher, mais le faire en se cachant frise l'hypocrisie.

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jeudi 5 juin 2008

La déviance de Khaled Cheikh Mohammed

"Cet homme est fou", voilà une réflexion que l'on pourrait faire en entendant les propos tenus par Khaled Cheikh Mohammed (KCM), l'un des terroristes qui a avoué être le "cerveau" de l'attaque du World Trade Center le 11 septembre 2001. En effet, lors de son audition par un tribunal militaire il a affirmé : "Je ne vais pas accepter d'avocat, je vais assurer ma défense". Au juge qui lui rappelait qu'il risque la peine de mort, il a répondu : "C'est ce que je veux, cela fait longtemps que je veux être un martyr". Qu'un accusé refuse la défense d'un professionnel, passe encore, mais qu'il demande la peine de mort, cela ne doit pas être chose courante. La sociologie peut nous éclairer pour comprendre ce cas, allons discuter avec Erving Goffman, Robert K. Merton et Max Weber.

Inversion du stigmate
En 1963, Erving Goffman publie Stigmate dans lequel il va montrer que si certaines caractéristiques d'un individu peuvent être à l'origine d'une stigmatisation, en règle générale les individus cherchent à cacher ces stigmates. Ils vont alors se "mettre en scène" pour que rien ne puisse trahir dans leur comportement la présence de cette caractéristique qui pourrait conduire à les classer parmi les déviants. E. Goffman va plus loin et c'est là que ça devient intéressant : il montre que l'on peut, dans certaines situations, être amené à faire le contraire, à "inverser les stigmates". Ici, KCM est clairement un "stigmatisé" (au sens de Goffman, pas de la bible évidemment) du fait de son extrémisme religieux. La société occidentale et ses institutions lui attribuent une identité déviante. Plutôt que de chercher à cacher ce stigmate, il va l'inverser. C'est compréhensible puisqu'il ne partage pas le système de valeur de la société qui le juge comme déviant (et même plus que cela, criminel et assassin). Il espère par son comportement obtenir la reconnaissance de son groupe d'origine.

Rationalité en valeur
On doit à Max Weber une typologie des motivations qui sont à l'origine de nos actions sociales. Comme toute typologie, il s'agit là d'un modèle et non pas d'une retranscription fidèle de la réalité. Max Weber a ainsi construit des idéaux-types qui permettent en quelque sorte de mieux comprendre les ressorts de l'action des individus en société. Il distingue quatre formes d'action sociale, deux qui relèvent d'un comportement rationnel et deux qui n'en relève pas. Ces dernières sont les actions affectives (qui retournent de l'émotion, de l'affect, de l'instinct) et les actions traditionnelles (qui sont le produit de la coutume, de la croyance : jouer au loto un vendredi 13 par exemple). Les actions rationnelles peuvent soit être rationnelles en finalité (je poursuis un but et je fais tout pour l'atteindre) ou rationnelles en valeur (j'agis ainsi parce que mes valeurs me poussent à le faire). On peut prendre l'exemple un peu trivial de la gestion de ses déchets : soit je jette tout dans la même poubelle parce que comme ça j'en ai qu'une seule, je perds moins de place, et moins de temps à trier. Soit j'ai 5 poubelles, ce qui entraîne des inconvénients évidents, mais cela correspond avec mes valeurs d'écologiste qui pense à sa planète et à ses futurs petits-enfants.

Revenons à notre sujet après cette petite présentation théoriquo-ludique de la pensée Weberienne. Le cas de KCM est intéressant parce qu'il montre que les idéaux-types de Max Weber ne sont que... des idéaux-types. En clair, on voit bien que le comportement de l'intégriste islamiste mélange à la fois la tradition (le poids de la religion), la rationalité en valeur qui découlent de cette religion ("Dieu est suffisant") mais également la rationalité en finalité ("j'ai toujours voulu mourir en martyr") qui pour le coup ne découle pas directement de la religion mais d'une vision extrême de celle-ci. Soyons explicite, je ne fais absolument pas d'amalgame entre Islam et Islamisme, ça va mieux en le disant. Il poursuit donc un but, tout en faisant référence à des valeurs, qui par ailleurs sont issues d'une tradition religieuse extrémiste. La position qu'il défend est donc, d'une certaine manière, rationnelle.

L'innovation comme mode d'adaptation
Retour au States avec Robert King Merton. On dit de RKM qu'il aurait choisi lui-même son deuxième prénom car il avait envisagé un temps une carrière de prestidigitateur et que s'appeler "King", ça en jette et ça aide pour faire du show-biz. Je n'ai jamais réussi à savoir si c'était vrai ou si mon pote qui m'a raconté ça c'est vraiment payé ma tronche. Je penche sérieusement pour la deuxième hypothèse. Ce sociologue américain a également construit une typologie permettant d'interpréter les comportements des individus, et notamment les comportements inattendus. Autant dire que cela colle plutôt bien à notre sujet. Mais Merton ne cherchait pas, en créant cette typologie, à se doter d'un outil permettant d'expliquer l'intégralité des comportements sociaux. Au contraire il se revendiquait comme un théoricien de "moyenne portée", attaché à construire des "théories intermédiaires entre les hypothèses mineures qui jaillissent chaque jour à foison dans le travail quotidien de la recherche, et les larges spéculations qui partent d'un maître-schéma conceptuel d'où l'on espère tirer un grand nombre de régularités du comportement social accessibles à l'observateur".

Dans le tableau de Merton on peut trouver cinq modes d'adaptations individuelles, qui sont caractérisés par le comportement des individus vis-à-vis des buts socialement valorisés, ainsi que des moyens pour les atteindre, toujours légitimés par la société. Cela donne cela :



- Le conformiste accepte les buts et les moyens pour y parvenir : je veux être riche et avoir une belle voiture, je vais travailler dur, faire tout pour être un winner, tout en respectant les règles du jeu.
- L'innovateur poursuit les mêmes buts, mais ne parvient pas à utiliser les mêmes moyens ou rejettent ces moyens : je veux devenir riche, mais pour cela, je deale et je fais dans la cambriole pour avoir ma Béhème. Merton cite Al Capone, riche et reconnu, comme l'innovateur par excellence.
- Le ritualiste est en quelque sorte le "gagne petit", celui qui a de petites ambitions, qui respecte les règles mais qui finalement a oublié pourquoi. Je renvois ici à une note chez Frédérique Giraud à propos d'un ouvrage d'Anne Chaté, qui ne parle pas de Merton, mais fait allusion à ces "petits rêveurs", les individus à l'ambition modérée.
- L'évadé, c'est l'individu qui a intériorisé buts et moyens mais qui fini par les rejeter tout en se maintenant dans une position de retrait. On prend souvent l'exemple des hippies pour illustrer cette catégorie que Merton croit être la moins répandue.
- Enfin, l'attitude de rébellion est également associée au rejet de la société, mais un rejet frontal, parfois brutal.
Trouvez la catégorie qui vous convient le mieux !

Encore une fois revenons à nos moutons après ces considérations théoriques. Le comportement de Khaled Cheikh Mohammed peut relever de plusieurs modes d'adaptation. Dans un premier temps on peut imaginer que son engagement dans l'islamisme le plus radical pourrait être assimilé à un comportement Mertonien dit de rébellion. Ce qui se traduit par le rejet brutal de la société occidentale ainsi que des sociétés arabes qui ne respectent pas ou n'imposent pas vraiment le Coran. A l'intérieur du groupe social que constitue les islamistes terroristes il est considéré comme conformiste, respectant à la fois les objectifs poursuivis par son groupe (imposer une interprétation rigoriste du Coran comme seule philosophie de vie) et les moyens pour y parvenir (les attentats-sacrifices). Mais depuis sa captivité il ne peut plus user de ces moyens. Il est donc conduit à une adaptation, à un comportement d'innovateur. S'il poursuit le même but (mourir en martyr, qui on l'aura remarqué est devenu une fin en soi) il est contraint à l'innovation pour y parvenir, ici la peine de mort !

NB : le premier qui trouve mon illustration des théories sociologiques par le cas KCM capilotractée, gare à lui !!!

Pour aller plus loin et voir ailleurs :
Une fiche de lecture de Stigmates d'Erving Goffman, sur le site de l'ENS LSH.
La page Wikipedia de Max Weber, labellisé "Article de qualité"
Un billet d'Arnaud Parienty qui traite des modes d'adaptations de Merton appliqués aux économistes !!!

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